Par Mounia Hammoud
Les Oranais, à l’instar des habitants de la majorité des wilayas côtières, ont été agréablement surpris en faisant leur marché ces derniers jours par la baisse vertigineuse du prix de la sardine. Ils ont découvert des prix qu’ils pensaient d’une autre ère.
Dépassant les 1 700 dinars le kilo il y a quelques jours, ce poisson bleu très prisé par les Algériens a été cédé hier mardi et aujourd’hui mercredi à 300 dinars le kilo, voire 200 dinars dans certaines communes côtières de la wilaya d’Oran. Une baisse qui a ravi les consommateurs, longtemps excédés par cette flambée.
Des prix divisés par six en 48H!
En effet, d’importantes quantités de sardines ont envahi les marchés de la wilaya d’Oran depuis hier. Conséquence : le prix de ce poisson bleu très prisé a connu une chute libre.
Cette baisse a permis aux Oranais de renouer avec leur poisson préféré. Hier et aujourd’hui, au marché informel d’El Hamri, les prix de la sardine varient entre 250 et 350 dinars le kilo selon la taille. Cette baisse coïncide avec la campagne officielle de pêche du poisson bleu, qui s’étale du 1er mai à la fin octobre et qui permet de diminuer le prix de la sardine, qui avait atteint des niveaux jamais égalés sur les marchés et à la criée. Une vraie aubaine pour les « petites » bourses qui trouvent en ce produit la seule alternative aux viandes rouges et même blanches, qui atteignent des prix inabordables.
«Donnez-moi trois kilos, c’est la fête! »
D’énormes quantités de sardines étaient exposées à la vente au niveau de ce marché, où les étals ont été pris d’assaut par les ménagères qui n’ont pas lésiné sur les moyens. « Donnez-moi, s’il vous plaît, 3 kilos », lança une quinquagénaire au vendeur. « Je veux faire la fête aujourd’hui. Cela fait plus d’une année que je n’ai pas acheté de sardines à cause de leur prix exorbitant », a-t-elle ajouté.
Une ambiance particulière régnait ce matin au niveau de ce marché. « Donnez-moi l’équivalent de 1 000 dinars, s’il vous plaît », lança un autre. Une telle situation est inédite depuis de nombreuses années. Tellement le prix était bas, les acheteurs étaient perdus entre les étals de vente de sardines, comme s’ils ne croyaient pas ce qu’ils voyaient ou entendaient ce que criaient les vendeurs. Et tout le monde se posait la même question : pourquoi les prix ont-ils connu cette baisse vertigineuse en l’espace de deux jours ?.
Quand un poissonnier se prend pour un Ichtyologue…
Abordant le sujet, un poissonnier explique cette baisse par l’augmentation de l’offre grâce à l’amélioration des conditions météorologiques. Cette hausse de production est normale, vu que les sardines et le poisson bleu en général suivent les courants chauds très fréquents, notamment en cette période de réchauffement relatif de la température des eaux de la Méditerranée.
Avant de terminer son idée, il a été interrompu par un consommateur, probablement venu pour faire ses emplettes : « Non, la météo n’explique pas à elle seule cette baisse des prix. C’est la déclaration du ministre du Commerce qui a fait bouger les choses. Il a menacé d’importer du poisson, comme ils ont fait avec le poulet».
Des facteurs plus objectifs cités
Le poissonnier, qui ne voulait pas entendre cette critique, a continué à défendre son point de vue : « C’est bel et bien la faiblesse des prises répétées qui a rendu le poisson aussi cher. La sardine est chère parce qu’elle est introuvable. En transitant d’un revendeur à un autre, elle atterrit au détail pour au moins 1 000 DA. Après, c’est la spéculation qui entre en jeu. À cela s’ajoute aussi un fait climatique important qui ne favorisait pas la disponibilité du poisson bleu toute l’année ». Avant d’ajouter « Mais le mauvais temps n’explique pas, à lui seul, cette envolée des prix. D’autres facteurs sont à prendre en compte, notamment le circuit de distribution et la mauvaise volonté des pêcheurs locaux à s’aventurer au large ».
Ces « braconniers » des mers…
L’autre problème cité en relation directe avec la rareté de la sardine sur les marchés concerne l’inconscience assassine et l’implacable avidité de certains pêcheurs qui ne reculent devant rien pour lui arracher plus qu’elle ne peut en donner. « Elle va de l’infraction à la réglementation, à savoir la pêche en dehors de la saison ou de la zone autorisée, jusqu’à l’utilisation d’engins de pêche destructeurs (filets à cordes, filets à double poches et dynamite) » a souligné notre interlocuteur . Une situation qui n’est pas sans conséquence pour le consommateur.
Ces victimes collatérales de la flambée
En effet depuis près de 6 ans, les marchands de poisson ambulants, qui autrefois déployaient leurs cageots sur les marchés locaux ou parcouraient les rues et quartiers à bord de fourgonnettes, motos ou charrettes, sont en train de disparaître progressivement. Le métier de poissonnier ambulant est devenu de plus en plus rare. Ce déclin n’est pas dû à une professionnalisation accrue du secteur, mais plutôt à la flambée des prix du poisson.
Les familles qui, jadis, envoyaient leurs enfants avec des assiettes, des passoires et des bassines au moindre son de klaxon, ne prennent plus la peine de vérifier la marchandise ou de se renseigner sur les prix. Ce produit très important pour le corps humain devient de plus en plus inaccessible pour les ménages algériens. Le citoyen algérien ne consomme que 4 kg de poisson par an à cause de son prix excessif.
Les effets inattendus du poulet brésilien…
Pour faire face à cette situation, le ministre du Commerce, Tayeb Zitouni, a récemment lancé une mise en garde aux pêcheurs, évoquant la possibilité d’importer du poisson, à l’instar de ce qui a été fait pour le poulet, si les prix continuent d’augmenter. Il a souligné que les prix du poisson varient entre 900 et 1 700 DA/Kg, une fourchette qu’il considère comme inacceptable. « Nous n’aurons d’autre choix que de casser les prix pratiqués par les spéculateurs en ayant recours à l’importation, comme nous l’avons fait pour le poulet », a-t-il menacé.
Le ministre a toutefois précisé qu’il ne souhaitait pas nuire aux pêcheurs. Mais en tant que responsable, il refuse catégoriquement de pénaliser les consommateurs a-t-il affirmé. Les avertissements du ministre ont porté leurs fruits : quelques jours après cette déclaration, les prix se sont écroulés.
Quand l’Etat joue son rôle!
La chute spectaculaire des prix de la sardine est un soulagement bienvenu pour les consommateurs et un rappel de l’importance de la régulation dans les marchés alimentaires. L’intervention décisive du ministre du Commerce, en menaçant d’importer du poisson pour contrer les spéculateurs, a eu un impact immédiat sur les prix, rétablissant un certain équilibre sur le marché.
Tandis que les Oranais savourent leur retour à des prix abordables, il reste crucial de continuer à surveiller et à réguler le secteur pour garantir un accès équitable et durable aux produits de la mer pour tous.
M.H