Par Amar Ouramdane
Le village d’Ath Mendes, dans la région de Boghni, au sud de Tizi- Ouzou, a abrité ce samedi 14 septembre, une rencontre de chercheurs, d’historiens et de nombreux invités venus à l’occasion évoquer une époque douloureuse de notre histoire dont on ne parle pas beaucoup.
Il s’agit de l’insurrection de 1871 d’El Mokrani et de Cheikh Aheddad et particulièrement des déportés algériens en Nouvelle Calédonie.
M. Belarbi Ahcène, moudjahid, descendant d’un déporté et en même temps président de l’Association des oubliés de l’insurrection de 1871 a eu cette idée de rendre hommage à son aïeul El Hadj Ahmed Nath Ourab Ouyahia Belarbi mais aussi à tous ces déportés en Nouvelle Calédonie et dans les autres départements d’Outre mer de la France coloniale.
Une rencontre et des symboles
En effet, le domicile de ce président a abrité un programme riche et varié entre autres des photos prises par El Hadj Ahcène Belarbi lors de son périlleux voyage en Nouvelle Calédonie en 2016, un documentaireen image de voyage , des documents relatant cette histoire, des ouvrages dédiés par leurs auteurs à cette période et bien d’autres activités.
Dans son allocution d’ouverture, le président de ladite association dira qu’il a réussi à réunir à Ath Mendes, berceau de la résistance et de la révolte, les descendants des déportés et des évadés de la Nouvelle Calédonie venus de Annaba, de Tébessa, d’Oum El Bouagui, de Skikada,
de Jijel, de Bouira, de Tizi- Ouzou, de Béjaia, de Tipaza, de Blida. « Aujourd’hui, je dirai que mon objectif est atteint », a-t-il cramé haut et fort, en dépit de son âge avancé.
Heureux qui comme Dda Ahcène…
Dans son intervention , le secrétaire général de la Kasma des Moudjahidines de Boghni évoquera en détails tout d’abord la vie de Belarbi Ahcène membre actif de la Fédération de France , puis de son parcours après l’indépendance du pays. «Dda Ahcène Belarbi a été enseignant, directeur d’école et après sa retraite bien méritée, il se consacre à la recherche et l’écriture de l’histoire des déportés notamment son aïeul. En dépit de son âge avancé, il est arrivé jusqu’en Nouvelle Calédonie, 23 000 kilomètres de son pays, pour collecter toutes les informations au sujet de cette partie de notre histoire. Aujourd’hui, nous sommes honorés de revisiter cette page de notre histoire « , déclarera cet intervenant.
Tour à tour, l’ex ambassadeur de l’Algerie en Tanzanie, en Ethiopie et en Afrique du sud, M.Nacer Bélaid El Mahdi, l’écrivain, Hadj Ali Mustapha, spécialisé dans l’histoire des déportations, des camps de concentration et des bagnes durant toute cette période douloureuse de notre histoire et auteur de nombreux ouvrages, dont «les bagnards algériens à Cayenne», «Les Algériens en Nouvelle Calédonie, l’insurrection de 1871», « Des révoltes populaires aux déportations», « l’évadé de Cayenne « , un roman réel écrit à la manière du « Papillion algérien » et son dernier ouvrage » Les convoyeurs algériens dans la campagne de Madagascar 1895», Ali Battache , professeur d’université et chercheur en histoire , chacun de son côté, a fait part de son histoire par rapport à cette période.
Ath Mendes «berceau» des Révolutions
En tout cas, leurs interventions ont porté de nombreuses informations au sujet de ces déportations. M. Ahcène Belarbi reprendra la parole pour donner un aperçu exhaustif sur son village, Ath Mendes en soulignant qu’il était le berceau de la résistance et de la révolution. « Ce n’est qu’en 1884 que l’armée coloniale conquit Ath Mendes. Je vous annoncerai que cette région a participé aux révoltes populaires. Boubaghla est passé par là. D’ailleurs, il a épousé une femme de notre village », confiera-t-il à l’assistance.
Belarbi Ahmed Nath Ourab Ouyahia: Une vie et des combats…
Ahmed Nath Ourab Ouyahia est né en 1843 et décédé le 08 mars 1918. Il vécut 47 ans de combat, dont 33 ans en exil. Il fut l’un des trois évadés de Nouvelle Calédonie revenus vivants en Algérie avec ses compagnons, le Caïd Ahmed Lounès de Mechtras et Ali Ben Tahar de Souk Ahras
Il participa en 1871 à l’insurrection de Cheikh Aheddad au siège de la caserne militaire de Draâ El-Mizan du 20 avril au 06 juin 1871 et à la bataille de Sidi Rahmoune située entre Aomar et Draâ El Mizan guidée par le Caid Ali Ben Tellache de DraâEl-Mizan. Un guide et ses compagnons de la Zaouia de Cheikh Sidi Abderahmane prirent part à cette bataille au col de Tizi Larbaâ sur les hauteurs de Draâ El-Mizan.
Il fut condamné le 20 mai 1871 par la cour d’assises de Constantine avec 212 de ses compagnons. Sa peine fût commuée en déportation vers la Nouvelle Calédonie. Il passa quatorze ans de sa vie au bagne de 1875 jusqu’à 1889. Il réussit à s’évader pour arriver en compagnie des deux autres évadés précités en corrompant le commandant de bord car il avait beaucoup d’argent. Ils passèrent par Djeddah où il accomplit le pèlerinage et débarquèrent vers la Tunisie. N’oublions pas que Hadj Ahmed Nath Arab Ouyahia avait une concession de 197 hectares qu’il mit en 1888 en usuffrier avant de la vendre en 1889. Il s’installa en Tunisie où il se maria quatre fois sans laisser de descendant.
La félonie des Tunisiens…
Par jalousie, les Tunisiens le dénoncèrent à l’administration française. Il fut condamné malgré l’amnistie de 1895. Puis, il fut déporté à Annaba. Il mentit qu’il s’était évadé du bagne de Cayenne. Après plusieurs écrits échangés entre les responsables coloniaux et les différentes administrations concernées par son affaire, la police de Draâ El-Mizan répondit que cette personne était déportée en Nouvelle Calédonie et non à Cayenne. Tout de même, le gouverneur général d’Alger refusa sa libération. En 1904, il rentra en Kabylie où il décéda le 08 mars 1918.
La France cet ennemi éternel!
«J’accuse, j’accuse, j’accuse la France coloniale pour ces crimes commis contre l’humanité et contre notre pays. Libres aux politiciens français de ne pas reconnaître leurs méfaits. Qu’ils sachent bien qu’ils seront bienvenus chez nous que le jour où ils régleront leur dette envers notre peuple. Gloire à nos martyrs. Vive l’Algerie libre et indépendante« , s’égosillera-t-il devant les applaudissements de l’assistance, avant d’annoncer que l’ouvrage qu’il lui a consacré est presque achevé. Il s’intitulera « L’évadé de la Nouvelle Calédonie ».
«Monsieur le Président… »
Avant de clore cet hommage, le Président de l’association des oubliés de l’insurrection de 1871 lancera en direction du Président de la République M. Abdelmadjid Teboune: «Monsieur le Président, je vous suggère d’ordonner de donner des passeports aux enfants descendants des déportés de la Nouvelle Calédonie pour leur faciliter les déplacements entre la Nouvelle Calédonie et l’Algérien et vice-versa, de nommer un consul à Nouméa, d’envoyer deux imams à Nouméa et à Bourail pour accompagner les descendants des déportés à embrasser la religion musulmane, des enseignants en langue arabe, de créer une maison de déportés en Nouvelle Calédonie et une autre en Algérie, d’encourager les échanges culturels entre les descendants des déportés de Nouvelle Calédonie et ceux d’Algérie et la création d’un musée de la déportation en Algérie par exemple à Bordj Bou Arredj ».
Enfin, il y’a lieu de noter que le président de l’association les oubliés de l’insurrection de 1871 et tous les invités se sont recueillis sur la tombe de Ahmed Nath Ourab Ouyahia Belarbi en déposant une gerbes de fleurs sur sa tombe et ont ensuite écouté la Fatiha du Saint Coran lue par l’imam du village.
A.O