La décision du chef de l’Etat, M. Abdelmadjid Tebboune, de créer deux entités distinctes mais complémentaires, l’une chargée de l’exportation et l’autre de l’encadrement de l’importation, en remplacement de l’Agence nationale de promotion du commerce extérieur « ALGEX », a fait régir nombre d’experts en économie.
Ainsi, cette instance chargée de délivrer les licences d’importation aux opérateurs économiques, en tenant compte des besoins du marché national et de la disponibilité des produits à importer, était perçue comme un « frein » à l’émergence d’une économie forte.
En effet et afin de comprendre les tenants et aboutissants de cette décision qualifié par certains d’« historique », attache a été prise avec le Professeur Brahim Guendouzi, économiste et spécialiste en commerce international.
Dans cet entretien accordé à JUST-INFODZ, M. Guendouzi apporte ses éclairages et analyses, quant à cette décision et bien d’autres et leurs implications et imbrications quant à la mise en place d’une feuille de route viable à même de propulser l’Algérie et son économe vers des horizons propices et prospères.
En outre, il est revenu avec force et détails sur les nouvelles instances (import/export), la bureaucratie et les blocages persistants, le guichet unique et l’investissement, la révision de l’accord d’association avec l’UE etc.
1. Sur la suppression de l’Algex
JUST-INFODZ Pourquoi le président Tebboune a-t-il qualifié l’Algex d’ »instance du Jurassique » ? Quels étaient les dysfonctionnements majeurs de cette agence ?
Brahim Guendouzi : A partir de 2021, avec l’évolution de la réglementation régissant les importations, le ministère du commerce a fait obligation à tout importateur pour la revente en l’état de consulter préalablement le portail électronique mis en place pour faire connaitre le produit national, avant de procéder à la domiciliation bancaire. L’objectif étant de vérifier de l’indisponibilité des produits à importer sur le marché national. En conséquence, il était exigé de l’importateur l’obtention d’un document délivré par l’Agence nationale de la promotion du commerce extérieur (ALGEX) à joindre dans le dossier de domiciliation bancaire. L’application de cette dernière mesure a eu des effets pervers sur les importateurs qui ont eu d’énormes difficultés pour l’obtention de ce fameux certificat d’ALGEX, indispensable pour procéder à la domiciliation bancaire. D’où les problèmes générés en termes d’approvisionnement du marché et surtout de l’outil de production. C’est à cet égard que le président de la république a utilisé l’expression « d’instance jurassique » faisant allusion à la période de disparition d’espèces anciennes comme les dinosaures.
- Concrètement, quel était le rôle de l’Algex depuis sa création en 2004 ? Pourquoi était-elle devenue obsolète selon le chef de l’État ?
C’est en 1996 que l’Algérie, en période d’ajustement structurel, avait déjà voulu diversifier ses exportations, en créant deux établissements publics devant accompagner les entreprises sur les marchés extérieurs. Il s’agit du PROMEX, chargé de l’information commerciale et de la prospection à l’international, et de la CAGEX, devant mettre en œuvre le système d’assurance-crédit pour couvrir les risques auxquels sont confrontés les exportateurs sur les marchés extérieurs. En 2004, le PROMEX est devenue ALGEX, mais les missions sont restées les mêmes, avec peut-être en plus le suivi du Fonds Spécial de promotion des exportations (FSPE) mis en place dans le cadre d’un compte d’affectation spécial (CAS) au niveau du Trésor, destiné à prendre en charge certains frais des exportateurs. Autrement dit, ALGEX a été créée pour accompagner les exportateurs, et elle s’est retrouvée à réguler en partie des importations, sans qu’elle ne soit organisée pour cela.
- Quel impact aura sa suppression sur les exportateurs algériens ? Va-t-elle vraiment fluidifier les procédures ?
Logiquement, les importateurs pour la revente en l’état n’auront plus à présenter le certificat d’ALGEX pour pouvoir procéder à la domiciliation bancaire de leurs opérations. Ce qui signifie qu’il y a un verrou qui vient de sauter rendant plus fluide l’acte d’importer au grand bonheur des opérateurs économiques.
2. Sur les nouvelles instances (import/export)
- Le président a annoncé la création de deux nouvelles agences (une pour l’import, une pour l’export). Comment ces structures doivent-elles fonctionner pour éviter les erreurs du passé ?
Il existe déjà deux structures consultatives, en l’occurrence le Haut conseil de la régulation des importations créé par décret présidentiel n° 23-284 du 1er août 2023, et le Conseil national consultatif de promotion des exportations créé par décret exécutif n° 23-290 du 03 août 2023. S’agit-il de ces deux conseils dont fait allusion le président de la république, ou bien carrément la création de deux nouvelles agences spécialisées dédiées à la régulation des opérations d’importations et d’exportations. Il est clair qu’aujourd’hui, avec la nouvelle conjoncture économique mondiale, l’Algérie ne doit compter que sur elle-même et ses propres potentialités, et donc est appelée à mettre en œuvre un mode de gouvernance économique qui garantira performance, compétitivité et attractivité. Deux stratégies sont au cœur du renforcement du commerce extérieur dont l’impact est déterminant à moyen terme. D’une part, il y a la diversification des exportations hors hydrocarbures à réussir, et d’autre part, permettre à la politique de substitution aux importations d’être menée à bon port.
- Est-ce que cela suffira pour lutter contre la sous-facturation des exportations, un problème évoqué par Tebboune ?
Les pratiques de surfacturation à l’importation et de sous-facturation à l’exportation sont des pratiques connues dans les opérations du commerce international. C’est aux services de l’Etat (Douane, Impôts, etc.) ainsi que la contribution des banques, de coordonner leurs actions pour anticiper et essayer d’enrayer ce genre pratiques. Avec la digitalisation, il est possible d’identifier les maillons concernés et de les neutraliser, sans porter atteinte au fonctionnement de l’économie nationale.
3. Sur la bureaucratie et les blocages persistants
- Le président et le CREA dénoncent encore des lenteurs administratives et bancaires. Pourquoi ces blocages résistent-ils malgré les réformes annoncées depuis 2019 ?
La gouvernance économique telle qu’elle est pratiquée en Algérie a fait en sorte que la conjugaison de plusieurs facteurs a donné lieu à un fonctionnement rigide, moins transparent, à dominante bureaucratique, pace que précisément la dimension évaluation régulière des actions menées fait défaut. Dès fois, des réformes telles qu’elles devraient être mises en œuvre, sont souvent vidées de leur sens dès le départ, et avec le temps, la finalité recherchée se retrouve obsolète.
- Tebboune parle de « nostalgie du passé » et de « sabotage ». Est-ce une question de mentalité, de corruption, ou simplement de lourdeurs structurelles ?
C’est tout à la fois, car certaines pratiques comme on dit ont « une vie longue ». En management, on utilise le terme « enracinement » pour désigner justement ces phénomènes et ceux qui perdurent dans leurs activités et perpétuent des modes de fonctionnement en déphasage avec les exigences du marché et de la performance.
4. Sur le guichet unique et l’investissement :
- Le président regrette que l’AAPI ne soit toujours pas un guichet unique après trois ans. Qu’est-ce qui bloque ?
La loi22-18 relative à l’investissement et ses textes d’application ont apporté des garanties, de la transparence et de la célérité dans le traitement des dossiers d’investissement. C’est ce qui explique le nombre élevé de 13000 projets déposés auprès de l’Agence de promotion des investissements (AAPI). Il est clair qu’il y a lieu de passer vers un niveau organisationnel supérieur pour garantir aux porteurs de projets les mécanismes qui accéléreront l’entrée en exploitation d’au moins une grande partie des investissements en cours de réalisation, dans les délais impartis, pour gagner en crédibilité par rapport aux investisseurs tant nationaux qu’étrangers.
- Il critique aussi les prix élevés des terrains industriels (35 000 DA/m²). Comment réguler ce marché pour attirer plus d’investisseurs ?
Dans le nord du pays, l’offre de foncier économique est largement insuffisante par rapport à la demande, dans un contexte de rareté avérée dans certaines wilayas. Ajouté à cela, les problèmes d’aménagement des sites, de l’attractivité des zones et de l’existence des économies externes. D’où la situation qui fait que dans certains cas, le prix du M2 est vraiment prohibitif.
5. Sur la diversification économique et les objectifs 2027 :
- L’Algérie vise un PIB de 400 milliards $ et une industrialisation à 18% du PIB. Ces objectifs sont-ils réalistes ?
Atteindre un PIB de 400 milliards de dollars en 2027 est un objectif macroéconomique qui parait ambitieux, mais qui, sous certaines conditions, peut être réalisable. Il y a lieu de continuer dans la lancée d’un taux de croissance économique semblable à celui de 2023, c’est-à dire dépasser 4% par an. Le marché pétrolier doit rester sur une tendance haussière sur le moyen terme afin de garantir à l’Algérie les ressources nécessaires pour sa croissance. Un nombre élevé des projets d’investissement tant publics que privés doivent entrer en exploitation durant cette période. En enfin, sur le plan de la comptabilité nationale, un débasage des comptes économiques nationaux à effectuer, passant de 2001 à 2011 comme année de référence. Si ces conditions sont réunies, il n’y a pas de raison de ne pas atteindre un PIB de 400 milliards de dollars à fin 2027. En revanche, s’agissant de l’industrie, il sera question d’une véritable bataille industrielle à mener pour développer des filières industrielles et leur donner de la cohérence tant sur le plan technologique que par rapport au marché national. L’industrie des biens intermédiaires (sidérurgie, matériaux de construction, pétrochimie, etc.), l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique, les énergies renouvelables, sont appelées à connaitre plus de croissance et à se déployer à l’international.
- Le pays dépend encore à 90% des banques publiques pour le financement privé. La privatisation partielle des banques peut-elle changer la donne ?
La question du financement des entreprises est tributaire de l’évolution du système bancaire qui reste dominé par les banques publiques que ce soit en termes d’actifs que des crédits octroyés. Aussi, il y a lieu de diversifier et densifier le réseau bancaire pour tenir compte de l’évolution économique du pays et de la nécessité de canaliser l’épargne des ménages. L’étroitesse du marché financier, la faible bancarisation et la concentration des actifs bancaires au niveau du seul secteur public, font que la place bancaire algérienne soit amenée à faire sa mue. L’introduction en bourse de deux banques publiques (CPA et BDL) avec ouverture de leur capital va justement dans le sens de la modernisation du management bancaire et de l’instauration une concurrence.
- L’accord d’association avec l’UE va être renégocié. Quels secteurs algériens pourraient en bénéficier ?
L’Algérie a exprimé sa volonté de réviser l’Accord d’association avec l’Union européenne pour sauvegarder ses intérêts commerciaux qui sont à un niveau bien en deçà de ce qu’ils devraient être, contrairement à la partie européenne, faisant ressortir un véritable décalage entre les objectifs assignés au départ et l’amère réalité des résultats obtenus après près de deux décennies d’application. Le secteur manufacturier (produits sidérurgiques, matériaux de construction, produits de la pétrochimie, secteur pharmaceutique, etc.) et les produits agricoles, d’origine algérienne, doivent avoir un accès normalisé et régulier conformément au principe de la libre circulation des marchandises. De nouveaux domaines tels que la transition énergétique durable, le changement climatique, le développement technologique, font aussi partie des préoccupations de l’Algérie avec ses partenaires européens.
6. Sur la nouvelle génération d’hommes d’affaires :
- Tebboune évoque une « nouvelle génération » pour tourner la page de la corruption. Comment favoriser cette transition ?
Une économie qui repose surle travail et la création des richesses et non pas sur la rente. Le rôle central que doit jouer l’entrepreneur (au sens schumpétérien) qui prend le risque et qui innove. Aujourd’hui à l’ère du marketing digitale et des innovations de tout genre, c’est une nouvelle génération « d’hommes d’affaires » à travers les Start-up, les managers, les talents dans divers domaines d’activités économiques, qui sont les meneurs de la croissance économique.