La région de Transcaucasie, laquelle regroupe la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan est secouée ces derniers jours, par un conflit qu’on croyait enterrée depuis 2020.
En effet, les velléités séparatistes de la région du Haut-Karabakh, relevant de l’Azerbaïdjan, se sont brusquement, ou comme l’avancent certains observateurs de la scène politique, ont été sciemment éveillées le 19 septembre dernier.
Ainsi, en l’espace de cinq jours, une tentative de sédition a été menée puis matée, des pourparlers engagés pour éviter un embrasement de la région et des manifestations quasi quotidiennes secouent l’Arménie.
La communauté internationale quant à elle, s’est engagée dans des « gesticulations » oscillants entre appels au calme, condamnations et menaces.
C’est dire que ce conflit, lequel paraît des plus anodins au premier abord, cache des enjeux des plus stratégiques, voire obscurs.
Dans cet entretien accordé à Just-infodz, M. Michel Fayad, expert international en économie et en géopolitique, diplômé d’HEC Paris, revient sur la genèse du conflit entre l’Arménie et Azerbaïdjan et aussi, décrypte les tenants et aboutissants de ce qui semble être une énième tentative de déstabilisation à des fins inavouées.
- Just-infodz : Que se passe-t-il au haut Karabakh , pourquoi cette enclave est au cœur de tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie ?
Michel Fayad : Pour comprendre les tensions actuelles dans le Haut-Karabakh, enclave azerbaïdjanaise peuplée d’Arméniens et appelée Artsakh par eux, il faut remonter au moins à 1917 et les premiers affrontements lors de la guerre civile qui suivit la révolution bolchévique.
Ces affrontements reprirent en 1918 lorsque l’Arménie et l’Azerbaïdjan proclamèrent leur indépendance.
Les Azerbaïdjanais massacrèrent des Arméniens. En 1921, Moscou, désormais soviétique, décida de rattacher le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan. Toutefois, en 1923, l’autonomie fut octroyée à l’enclave.
Le Haut-Karabakh resta autonome jusqu’en 1988 et le déclenchement de la première guerre au Haut-Karabakh, un conflit de six ans, remporté par les Arméniens (qui prirent 13% de l’Azerbaïdjan, y compris le Haut-Karabakh) mais, qui fit 30 000 morts.
Le conflit fut gelé entre 1994 et 2020 malgré des accrochages armés fréquents comme en 2016 et la guerre des quatre jours. En 2020, éclata une deuxième guerre au Haut-Karabakh, un conflit de 44 jours, remporté par les Azerbaïdjanais (qui reprirent les trois-quarts du territoire) mais, qui fit 6 500 morts.
Je pense que s’il y a autant de réactions c’est que l’on craint un affrontement entre Américains et Russes car les Etats-Unis et la Turquie, principal soutien de l’Azerbaïdjan, sont alliés au sein de l’OTAN et la Russie, liée à l’Arménie dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), maintient de plus ou moins bonnes relations avec la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Michel Fayad, expert international en économie et en géopolitique,
Après près de trois ans de cessez-le-feu, les combats ont repris le 19 septembre 2023. Il y a déjà environ 250 morts. L’Azerbaïdjan veut achever sa conquête de l’enclave.
La république autoproclamée d’Astrakh a déposé les armes. Les 120 000 arméniens de l’enclave commencent à fuir leurs terres en passe de passer sous contrôle azerbaïdjanais.
- La dernière offensive sur le haut Karabakh, le 19 septembre dernier a fait réagir la communauté internationale, l’Allemagne, les USA et même l’ONU, pour quoi cet intérêt soudain ?
L’ONU s’est seulement contentée d’appeler « à une cessation crédible et durable de toutes les hostilités ».
Les Etats-Unis ont appelé à la « cessation immédiate » des hostilités.
L’Allemagne a demandé que « les droits et la sécurité de la population du Haut-Karabakh soient garantis pour parvenir à une solution durable du conflit ».
L’Union Européenne a quant à elle, condamné l’opération et a appelé l’Azerbaïdjan à mettre fin à ses activités militaires dans le Haut-Karabakh mais est dépendante de son pétrole et surtout de son gaz depuis le début de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie.
Je pense que s’il y a autant de réactions c’est que l’on craint un affrontement entre Américains et Russes car les Etats-Unis et la Turquie, principal soutien de l’Azerbaïdjan, sont alliés au sein de l’OTAN et la Russie, liée à l’Arménie dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), maintient de plus ou moins bonnes relations avec la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Toutefois, la Russie critique le Premier ministre arménien qui a pris ses distances avec elle en disant qu’elle n’est pas l’alliée de son pays, a fourni une aide humanitaire à l’Ukraine (alors que son pays et le Haut-Karabakh sont les victimes collatérales de la guerre en Ukraine) et a tenu des exercices militaires avec les Etats-Unis.
Cela affaiblit les Arméniens dans le conflit et l’Azerbaïdjan qui a un sentiment d’impunité tente d’en profiter.
Il y a donc également autant de réactions en raison des craintes d’un nouveau génocide d’Arméniens, le président azéri rappelant que la Turquie et l’Azerbaïdjan sont deux Etats mais une seule nation, l’Empire ottoman ayant perpétré le massacre d’au moins 1,3 millions d’Arméniens entre 1915 et 1916 et les Azerbaïdjanais ayant massacré des Arméniens en 1918.
Il s’agit d’un coup de force réussi par l’Azerbaïdjan qui rappelle celui de la Russie de Vladimir Poutine en Tchétchénie, c’est dire la symbolique géopolitique en plus de la tragédie humaine.
Les Arméniens cherchent des alliés car ils craignent que l’Azerbaïdjan poursuive et tente de conquérir l’Arménie-même en partie ou en totalité.
- Selon nombre d’observateurs, ce conflit risque de redistribuer les cartes de l’Asie Centrale qu’en pensez- vous ?
Les cartes risquent en effet d’être redistribuées car l’Azerbaïdjan est soutenu non seulement par la Turquie mais par les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale ainsi que par Israël.
Sa victoire est vue comme leur victoire, ce qui déplait à l’Iran et la Russie qui se présentaient jusque-là comme les principales puissances militaires régionales.
Il s’agit d’un coup de force réussi par l’Azerbaïdjan qui rappelle celui de la Russie de Vladimir Poutine en Tchétchénie, c’est dire la symbolique géopolitique en plus de la tragédie humaine.
Les Arméniens cherchent des alliés car ils craignent que l’Azerbaïdjan poursuive et tente de conquérir l’Arménie-même en partie ou en totalité.
- Pouvez-vous nous replacer dans le contexte géopolitique de ce conflit ?
La configuration géopolitique ressemble à celle du XIXème siècle et du début du XXème siècle car on retrouve les rivalités entre Russes (un temps Soviétique), Turcs (un temps Ottoman), Iraniens (un temps Perse), Américains et Britanniques.
On l’a vu avec le rapatriement de Turquie des Ukrainiens nazis arrêtés par la Russie, Poutine et Erdogan ne sont pas de véritables alliés.
Poutine sait que Erdogan qu’il a sauvé d’un coup d’état en 2016 n’est pas toujours un partenaire, il est même le plus souvent un rival dangereux : en Syrie et en Libye ou encore dans le conflit entre Arméniens et Azerbaïdjanais mais surtout dans les anciennes républiques de l’URSS en Asie centrale, c’est-à-dire le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan mais surtout le Kazakhstan.
Plus grave encore pour Vladimir Poutine, le risque de nouveaux soulèvements au Tatarstan, en Tchétchénie et au Daghestan. Des républiques autonomes de la Fédération de Russie liées aux Turcs alors que la guerre en Ukraine se poursuit, le président américain souhaitant le faire capituler et continuant à envoyer armes et argent à cet effet.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a célébré la liberté et la sécurité énergétique de l’Europe pour s’être émancipé du gaz russe. Pourtant cette liberté et cette sécurité énergétique sont au prix de la liberté et de la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh, sacrifiés…
- Quid sur le gaz, et autres enjeux économiques ?
L’Union Européenne qui a sanctionné la Russie et ne peut donc plus lui acheter son gaz, s’est tourné, entre autres, vers l’Azerbaïdjan.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a célébré la liberté et la sécurité énergétique de l’Europe pour s’être émancipé du gaz russe. Pourtant cette liberté et cette sécurité énergétique sont au prix de la liberté et de la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh, sacrifiés…
Le gaz azéri de la mer Caspienne est acheminé en Italie par le Trans Adriatique Pipeline (TAP) qui passe par la Turquie, la Grèce et l’Albanie.
L’UE a accepté de sacrifié les Arméniens du Haut-Karabakh à l’autel du gaz. Pourtant, l’Azerbaïdjan n’a pas d’autre choix que de vendre son gaz à l’Europe et doit vendre son gaz pour soutenir son budget et son économie et ne pas sombrer dans une crise majeure surtout qu’il n’a pas encore amorti ses 40 milliards de dollars d’investissement dans le développement de son gaz.
L’UE aurait pu négocier de meilleurs termes et surtout ne pas sacrifier les Arméniens. Il y a deux mois, Von der Leyen a même visité Bakou pour y signer un protocole d’accord doublant les livraisons de gaz azéri à l’UE d’ici 2027.
L’UE aurait pu négocier de meilleurs termes et surtout ne pas sacrifier les Arméniens. Il y a deux mois, Von der Leyen a même visité Bakou pour y signer un protocole d’accord doublant les livraisons de gaz azéri à l’UE d’ici 2027.
Un comble : l’un des investisseurs dans le gaz azéri n’est autre que le russe Lukoil, son patron Alekperov étant d’origine azérie.
L’enquête de l’OCCRP a révélé que les hydrocarbures ont enrichi le clan Aliev dont la fortune est estimée à près d’un milliard de dollars et qui aurait dépensé plus de 2,5 milliards de dollars en deux ans (entre 2012 et 2014) pour faire du lobbying pour son régime auprès des Européens.
Entretien réalisé par Saliha Ait- Said