Le marché informel de la devise étrangères, appelé communément le « Square » connait ces derniers jours une baisse assez brutale. Ainsi et après avoir battu des records historiques en novembre dernier, frôlant le seuil de 260DA pour 1 euro, ce dernier, connait désormais une nette baisse.
En effet, ce dimanche 22 décembre 2024, la monnaie unique européenne s’est stabilisée à 243DA à l’achat et 246 DA à la vente, soit son seuil le plus bas depuis juillet dernier. Certains cambistes interrogés, indiquent qu’ils sont dans le « flou » et peinent à expliquer cette baisse, laquelle semble s’affirmer au fil des jours.
Dans le but de comprendre les tentants et aboutissant de ce recul de la monnaie européenne sur le marché informel du Square, attache a été prise avec le Professeur Brahim Guendouzi, économiste et spécialiste en commerce international. Dans cet entretien accordé à JUST-INFODZ, M. Guendouzi apporte ses éclairages et analyses, quant à la situation actuelle, émettant au passage des propositions concrètes afin de renforcer la monnaie nationale.
Entretien réalisé par Ramdane Bourahla
- JUST-INFODZ : Que pensez-vous de la baisse de la monnaie européenne au niveau du « Square » ?
Brahim Guendouzi : Habituellement les cours des devises sur le marché informel, particulièrement pour l’euro, sont volatils et évoluent selon les conditions de l’offre et la demande qui caractérisent le fonctionnement spécifique de ce marché. La conjoncture économique influe également sur les cours pratiqués, notamment sur certaines périodes de l’année où se manifeste une forte demande pour le change. Paradoxalement, ces derniers jours, on assiste à la baisse du cours de la monnaie européenne alors qu’en pareille période, c’est le contraire qui arrive du fait du rush des vacanciers pour le réveillon de fin d’année à l’étranger. L’explication réside peut-être dans le fait que les nationaux qui sollicitent le change informel pour tourisme préfèrent attendre l’entrée en application de la nouvelle allocation touristique établie à 750 € une fois par an, alors qu’aujourd’hui c’est à peine 95 €, en contrepartie de 15 000 dinars.
- Quels sont selon vous, les principaux facteurs de cette baisse ?
Il faut attendre pour voir si cette baisse est juste momentanée car liée à l’état du marché lui-même, ou bien si c’est le début d’un changement réel du change informel tant décrié. Dans ce cas, faudrait-il faire le rapprochement avec les dernières mesures prises par la Banque d’Algérie et relative au montant maximum à exporter annuellement de l’ordre de 7500 €, d’une part, et de la hausse de l’allocation touristique à 750 € pour les adultes et 300 € pour les mineurs.
La Banque d’Algérie, tolère les échanges en monnaies étrangères qui se font dans l’informel car les devises offertes ne proviennent pas d’un canal bancaire.
- Pourquoi d’après votre analyse, le marché parallèle du Square prospère-t-il sans être inquiété par les autorités ?
Les opérations sur les devises étrangères sont du ressort exclusif de la Banque d’Algérie. En tant qu’autorité monétaire, celle-ci tolère les échanges en monnaies étrangères qui se font dans l’informel car les devises offertes ne proviennent pas d’un canal bancaire. D’autant plus que les résidents nationaux sont autorisés à détenir des comptes devises auprès des banques nationales. Mais il existe un contrôle exercé par la douane au niveau des frontières lorsqu’il s’agit d’infraction à la règlementation des changes édictée par la Banque d’Algérie. D’ailleurs, la déclaration est obligatoire pour chaque passager lorsqu’il a sur lui un montant dépassant 1000 €. C’est donc l’Etat qui dispose du mécanisme juridique nécessaire à la répression des infractions à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger, à travers l’ordonnance n°96-22 du 9 juillet 1996, modifiée et complétée. Elle est mise en œuvre aux frontières à chaque fois qu’il y a tentative d’évasion de capitaux et de blanchiment d’argent.
La Banque d’Algérie cherche à assurer la stabilité du taux de change effectif réel (TCER) du dinar par rapport à un panier de monnaies étrangères.
- Comment peut-on rehausser la valeur du dinar ?
Les offreurs de devises sur les places informelles exigent, en termes de prix, des taux de change rémunérateurs pour pouvoir se départir des devises qu’ils détiennent. Les cours passent à la hausse lorsque l’offre des devises dans l’informel n’arrive pas à satisfaire toutes les demandes qui s’expriment sur le marché. Inversement, lorsque la demande est au creux sur certaines périodes de l’année et que l’offre de devises connait une certaine abondance, alors les cours vont vers une tendance baissière. Nous avons vu cela lors de la pandémie du fait que les voyages étaient suspendus. Cependant, s’agissant de la valeur du dinar sur le marché officiel, la Banque d’Algérie cherche à assurer la stabilité du taux de change effectif réel (TCER) du dinar par rapport à un panier de monnaies étrangères. Celles-ci étant pondérées en fonction de la part du commerce de chacun des principaux partenaires commerciaux. D’autres variables sont prises en considération comme le prix du pétrole brut, la balance commerciale, le niveau des réserves de change ou encore les fluctuations du dollar par rapport à l’euro.
- Est- ce que vous pensez que la hausse de l’allocation touristique a-t-elle eu un impact sur le marché parallèle ? Si oui, comment ?
La hausse de l’allocation touristique à partir de 2025 ne risque pas d’avoir un impact sur l’évolution du marché parallèle des devises tant que les besoins en monnaies étrangères sont importants au niveau des résidents nationaux qui ne peuvent accéder au change officiel dès lors que le système du contrôle des changes soit encore en vigueur. En revanche, la mesure édictée par la Banque d’Algérie de ne pouvoir transférer à l’étranger que 7500 € en cash une fois par an, est susceptible de faire mal aux offreurs de devises agissant dans l’informel.
L’allocation touristique est correcte à condition que le pays à visiter ne soit pas réputé pour niveau de vie très élevé. Evitez la Suisse !
- Comment qualifieriez vous cette hausse de l’allocation ? Est-elle juste ou en deçà des attentes ?
La hausse de l’allocation touristique a été étudiée de façon à permettre à une famille algérienne de passer un séjour touristique une fois par an dans des conditions acceptables. L’allocation de change est accordée à chaque individu s’il est majeur, c’est 750 €, et un mineur c’est 300 €. Dans ce cas, on peut imaginer un couple avec deux enfants sortir à l’étranger avec 2100 € pour un séjour touristique. Cela reste correcte à condition que le pays à visiter ne soit pas réputé pour niveau de vie très élevé. Evitez la Suisse !
L’existence du marché informel qui risque de fausser la portée des bureaux de change.
- Les autorités ont évoqué en 2023, la mise en place des bureaux de changes. Depuis, aucune nouvelle. Comment expliquez-vous ces atermoiements ?
L’encadrement juridique des bureaux de change existe. La contrainte c’est la mise en œuvre sur le terrain, sachant que l’Algérie n’a pas d’expérience dans ce domaine. Ajouté à cela, l’existence du marché informel qui risque de fausser la portée des bureaux de change. Le problème du gap important entre cours officiel du dinar et celui pratiqué dans l’informel est peut-être le frein qui empêche le déploiement des bureaux de change car ceux-ci devant fonctionner à partir de la cotation officielle de la Banque d’Algérie.