Même si le secteur du e-commerce en Algérie connait un « boom » indéniable ces dernières années, il n’en demeure pas moins qu’il fait face à nombre de défis structurels. Il est tel jet lancé à grande vitesse, sans personne ou presque, aux commandes. La comparaison est osée certes, néanmoins, elle reflète parfaitement la situation de ce segment, lequel risque le « crash » à tout moment.
Ainsi, c’est en somme le constat dressé par c’est le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), laquelle vient de lever le voile sur l’état de préparation de l’Algérie en matière de commerce électronique.
Si le pays affiche une dynamique impressionnante, propulsée par une numérisation croissante, il se trouve également à un carrefour où des décisions stratégiques sont cruciales pour débloquer tout le potentiel de ce secteur.
Une croissance fulgurante, mais un horizon local
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le commerce électronique en Algérie est en pleine effervescence. Le nombre d’e-commerçants inscrits au Centre National du Registre de Commerce (CNRC) a bondi de 92% en moyenne par an depuis 2020, atteignant près de 4 000 opérateurs fin mars 2024. Le volume des paiements en ligne pour biens et services a, quant à lui, triplé entre 2020 et fin 2024, frôlant les 13 millions de transactions. En 2023, la valeur des ventes en ligne entre entreprises et consommateurs (B2C) était estimée à un solide 1,9 milliard de dollars (262 milliards de dinars algériens).
Cette explosion est largement portée par les habitudes des consommateurs algériens : en 2023, près d’un tiers des internautes effectuaient des achats sur des sites marchands, tandis que près de la moitié privilégiaient les réseaux sociaux pour leurs emplettes.
Cependant, un constat majeur ressort du rapport : cette vitalité reste majoritairement confinée au marché local. Le commerce électronique transfrontalier, malgré une quintuplication des envois de colis internationaux entre 2018 et 2022, n’a pas encore atteint sa pleine maturité.
Des fondations solides, des ponts à construire
L’Algérie dispose d’atouts indéniables pour embrasser pleinement l’économie numérique. Avec 76,9% d’internautes en 2023 et des taux de pénétration élevés pour la téléphonie mobile (112%) et l’Internet mobile (104%), l’infrastructure technologique est bien présente. La couverture 4G s’étend à plus de 90% du territoire et l’investissement dans la fibre optique (FTTH) se développe, offrant un accès à haut débit pour un coût relativement abordable, se classant même deuxième en Afrique.
La logistique, pilier essentiel du e-commerce, a également connu des avancées significatives. Les services de livraison du dernier kilomètre se sont structurés, et le déploiement imminent d’un guichet unique électronique pour le commerce extérieur promet de simplifier drastiquement les formalités. L’adhésion de l’Algérie au Protocole sur le commerce numérique de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) ouvre également des perspectives prometteuses pour les start-up algériennes désireuses de conquérir de nouveaux marchés.
Le paiement électronique gagne du terrain face au cash
Le secteur des paiements électroniques connaît lui aussi une transformation. Le nombre de cartes interbancaires en circulation a atteint près de 20 millions fin 2024, et la valeur totale des transactions a quadruplé en cinq ans. Si les retraits en espèces dominent encore, la tendance est clairement à la dématérialisation. L’introduction du paiement mobile par QR code et le lancement récent du « Switch mobile », assurant l’interopérabilité des applications de paiement, sont des avancées majeures qui devraient accélérer l’adoption des solutions numériques.
Néanmoins, le poids des liquidités circulant en dehors du système bancaire (23% du PIB en 2022) reste un défi. La CNUCED recommande l’élaboration d’une stratégie nationale d’inclusion financière pour encourager l’utilisation des services digitaux, en particulier pour les femmes, les jeunes, la diaspora et les petites et moyennes entreprises (PME). L’ouverture du marché des paiements à des acteurs non bancaires, une mesure clé de la nouvelle loi monétaire et bancaire, est également perçue comme un levier puissant pour l’innovation.
Un manque de capitanat pour le navire Numérique
Malgré ces avancées, le rapport met en lumière un point névralgique : l’absence d’un cadre institutionnel clair et d’un leadership fédérateur pour le commerce électronique. La coordination interinstitutionnelle et le dialogue entre les secteurs public et privé doivent être renforcés.
L’opportunité réside désormais dans l’intégration du commerce électronique au cœur de la stratégie nationale de transformation numérique 2025-2030, sous l’égide du Haut-Commissariat à la Numérisation (HCN). Une stratégie nationale dédiée permettrait de capitaliser sur les dynamiques existantes et de créer un environnement propice à l’épanouissement des entreprises du e-commerce, tant sur le plan national qu’international.
En somme, l’Algérie est à la croisée des chemins. Forte de ses infrastructures et d’une demande grandissante, elle doit désormais affûter sa stratégie et renforcer sa gouvernance pour faire du commerce électronique un véritable moteur de diversification économique et d’inclusion.