À l’ère de la numérisation des administrations publiques, prônée, incitée et même ordonnée par le président de la République, la carte nationale d’identité électronique et biométrique (CNIEB), reste une énigme.
En effet, son utilisation actuelle, reflète un certain anachronisme avec les réformes de digitalisation engagées par les pouvoirs publics, lesquels font de la administration et du » zéro papier » un leitmotiv pour mettre sur les rails un environnement digital viable.
Ainsi, la CNIEB dans son utilisation de tous les jours, hormis être une pièce d’identité qu’on présente aux autorités, lors d’un banal contrôle routier, demeure un document administratif pratiquement quelconque, voire carrément galvaudé, comparativement aux multiples usages et fonctions qu’il pourrait offrir.
Dans ce long entretien entretien, M. Faouzi Djoudi, ingénieur, expert spécialisé en étude de construction en Génie civil et en numérique, explique pour JUST-INFODZ, les carences de la CNIEB en Algérie, ses champs d’applications qui restent sous exploités et donne sa vision pour une optimisation de cette carte aux multiples usages.
Entretien réalisé par Ramdane Bourahla
Huit ans après son lancement quel bilan faites vous de la CNIBE?
Fouzi Djoudi* : En octobre 2019, 16,8 millions d’algériens avaient retiré leurs Cartes Nationales d’Identité Biométrique ce qui représente l’émission d’une moyenne de 5,6 millions de cartes par an .Lancée en janvier 2016, la nouvelle carte d’identité algérienne est aussi le signe emblématique des ambitions de modernisation du pays.
Afin d’ouvrir la voie à des services centrés sur le citoyen et de protéger les identités, une carte à micro-processeur dernière génération vient d’être lancée en janvier 2016 : la Carte Nationale d’Identité Biométrique et Electronique (CNIBE). En remplacement des documents papier actuels, la CNIBE offre un moyen d’identification fiable et sécurisé, basé sur l’authentification biométrique. Cette toute première carte eID algérienne constitue pour les citoyens un moyen moderne de prouver leur identité (identité régalienne) et leur servira en particulier dans le cadre de leurs interactions avec le gouvernement.
« Il est aussi nécessaire de doter tous les administrations publiques, privées, aéroports, entreprises économiques, hôpitaux, banques, postes et états civils de lecteurs de carte biométrique, pour utiliser la technologie embarquée dans la CNIBE ».
Des systèmes de vérification des empreintes digitales et de reconnaissance biométrique seront couplés à une base de données sécurisée, accessible aux agences gouvernementales chargées de l’enregistrement des électeurs, du recouvrement de l’impôt, de l’émission des passeports, etc. Cette nouvelle carte à microprocesseur est la carte d’identité nationale pour tous les citoyens à partir de l’âge 18 ans.
La carte nationale d’identité biométrique électronique est composée de deux puces. La première comporte des informations administratives et des informations sur son titulaire. La seconde comporte une application d’authentification du titulaire.
Huit ans après son de lancement de la CNIBE, est une belle prouesse pour l’administration algérienne qui a fait vivre aux millions d’algériens ayant fait la demande, une magnifique expérience de démarche administrative en ligne qui contrastait totalement avec la bureaucratie à laquelle il se sont habitués.
C’est la digitalisation dans toute sa splendeur et c’est ce à quoi s’attendent les citoyens pour tous les autres services gouvernementaux : une administration numérique centrée sur le citoyen, une administration « zéro papier ». Toutefois et malheureusement, aucune administration n’utilise un lecteur de carte biométrique, et toute la technologie embarquée dans la CNIBE n’est pas exploitable.
Dans ce contexte, le président de la République M.Abdelmadjid Tebboune, a indiqué, le 24 fevrier 2023, qu’il n’a eu de cesse d’appeler depuis trois ans, à recourir à la numérisation. Or, il semble que sur le terrain, les choses ne se passent pas forcément comme prévu. La numérisation de l’administration publique est une priorité prévue. Le président de la République, a, une nouvelle fois, évoqué la numérisation. lors de son dernier entrevue avec des représentants de médias, il a rappelé qu’il « n’a eu de cesse d’appeler, depuis trois ans, à recourir à ce type de technologie, à même donner des chiffres exacts sans falsifier la vérité, définir les problèmes et en trouver les solutions avec célérité ». Il a, à cet effet, mis en exergue, « l’opacité qui constitue désormais un objectif bureaucratique derrière lequel se cachent ceux qui veulent perpétuer les pratiques du passé ».
« La numérisation est réelle et fiable. De plus, elle ne ment pas, ne falsifie pas les données et fournit la rapidité nécessaire pour résoudre les problèmes »en fournissant des chiffres exacts », a-t-il souligné.
Le Chef de l’État a considéré que l’absence de la numérisation était « un acte délibéré » susceptible de conduire à la bureaucratie et à des pratiques de corruption, affirmant que la numérisation deviendra « une réalité, par la volonté ou par la force des choses ». Une quelconque institution peut, aujourd’hui, assurer la numérisation en un court laps de temps, a-t-il dit. Actuellement l’Algérie possède déjà 2 briques technologiques fin prêtes qui permettent de bâtir un schéma national d’identité numérique :
- 1. La base de données de l’état civil : l’Algérie bénéficie d’un système d’identité régalien très solide, avec un registre de population numérique et centralisé, en vigueur depuis 2016, au niveau du ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, attribuant un numéro d’identité unique (NIN) à chaque citoyen avec enregistrement des données biométriques (empreintes digitales et photo). Le document légal qui sert à vérifier l’identité d’une personne est la carte nationale d’identité biométrique et électronique (voir mon précédent article). Le taux d’enrôlement dépasse les 50%. Cette technologie permet de fournir une authentification en ligne et hors ligne.
- 2. Le Virtual ID : l’Autorité nationale de certification électronique (ANCE), à travers l’ Autorité Gouvernementale de Certification Électronique (AGCE) (opérationnelle) et l’Autorité Economique de Certification Electronique (AECE) (non encore opérationnelle), peut délivrer un Virtual ID basée sur la PKI (l’infrastructure de gestion de clés ou Public Key Infrastructure) qui est hébergé au niveau de l’AGCE.
Elle permet de fournir une identité numérique qualifiée et sécurisée pour chaque individu. Avec avantage que le cadre réglementaire existe : c’est la loi n° 15-04 du 1er février 2015.
- Il est nécessaire toutefois d’ajouter une 3eme brique : une application mobile de l’État qui dématérialisera la carte nationale d’identité biométrique, l’application mobile permettra une plus grande inclusion de la population.
Et voici à quoi ressemblerait un Schéma national d’identité numérique pour l’Algérie, qu’on pourrait mettre en place rapidement étant donné que les technologies sont déjà disponibles et opérationnelles.
Et surtout il est nécessaire que les autorités compétentes doivent appliquer toutes les instructions du Président de la République M. Abdelmadjid Tebboune relative à la Numérisation et Digitalisation : La numérisation de l’administration publique est une priorité prévu.
Il est aussi nécessaire de doter tous les administrations publiques, privées, aéroports, entreprises économiques, hôpitaux, banques, postes et états civils de lecteurs de carte biométrique, pour utiliser la technologie embarquée dans la CNIBE.
Sous d’autres cieux, la CNIBE est souvent associée à lecteur NFC. Qu’en est-il en Algérie ?
Selon le Portail Gouvernemental des Services Publics : bawabatic.dz, pour permettre de lire la carte nationale d’identité biométrique électronique et accéder au service en ligne :
Le service permet aux administrations publiques ou privées et même aux citoyens algériens disposants de Carte Nationale d’Identité Biométrique Électronique « CNIBE » de lire électroniquement les données de la CNIBE y compris le nom de l’époux et l’adresse.
Pour utiliser ce service, il faut être doter d’un ordinateur (ou portable) connecté à internet, un lecteur (standard) de carte à puce sans contact » Contactless « , le Module smarCard « DzaEidCard ».
Or, Aujourd’hui, en Algérie, malheureusement, aucune administration n’utilise un lecteur de carte biométrique, et toute la technologie embarquée dans la CNIBE n’est pas exploitable
La CNIBE sous sa version actuelle, répond-t-elle aux normes internationales en vigueur, notamment la sécurisation des données personnelles ?
En Algérie, la loi de 2010 sur la mise en place du numéro d’identification nationale unique (NIN) et la loi de février 2015 sur la signature et la certification à valeur légale ont marqué deux jalons majeurs dans le cadre de l’identité numérique nationale pour les initiatives d’e-commerce et d’E-gouvernement.
« La CNIBE incorpore de puissantes fonctionnalités de sécurité, avec en renfort l’enregistrement des données biométriques et des empreintes digitales sur le microprocesseur. L’accès aux services électroniques publics et privés—tout particulièrement les services d’e-gouvernement—via des portails Internet est sécurisé grâce à deux certificats pour l’authentification électronique et la signature émis par l’autorité de délivrance de la carte ».
L’État algérien a déjà expérimenté cette démarche quand quelques années plus tôt, quand il avait conçu et diffusé la carte de santé algérienne (CHIFA) aux citoyens. Il a alors compris que le point de départ de toute démarche de progrès collectif reposait sur :
• Un lien unificateur, symbolisant le lien social liant le citoyen à l’administration,
• Le principe de confiance dans la représentation nouvelle et électronique de ce lien et sa traduction en droit pour assurer sa sécurité et sa validité dans les échanges électroniques.
Avec l’introduction de cette nouvelle carte d’identité, le gouvernement algérien pourra assurer à ses citoyens la confidentialité de leurs données en éliminant les risques de vols d’identités.
Par ailleurs, la nouvelle infrastructure d’e-gouvernement entraînera une simplification administrative et permettra aux agences gouvernementales de respecter leur promesse de proposer des services orientés citoyens, une demande pressante de la population.
La CNIBE incorpore de puissantes fonctionnalités de sécurité, avec en renfort l’enregistrement des données biométriques et des empreintes digitales sur le microprocesseur. L’accès aux services électroniques publics et privés—tout particulièrement les services d’e-gouvernement—via des portails Internet est sécurisé grâce à deux certificats pour l’authentification électronique et la signature émis par l’autorité de délivrance de la carte.
Elle répond parfaitement aux normes internationales en vigueur, notamment la sécurisation des données personnelles comme suit :
• Le choix de la durabilité et de la sécurité physique renforcée avec un corps de carte en polycarbonate protégé par des éléments de sécurité visuelle ainsi que par le dispositif anti-fraude Sealys Window.
• Le choix de la sécurité logique et du potentiel multi-service : Système d’exploitation Sealys ID Motion multi-service, le premier au monde à avoir obtenu un certificat de critères communs incluant des assurances de niveau EAL7.
• Le choix de la biométrie : Dispositif Sealys BioPIN équipé de la technologie Match-on-Card pour une authentification des empreintes digitales
• Le choix de la technologie de pointe : avec deux microprocesseurs, la carte supporte une Numéro d’Identification National unique (NIN) large diversité d’usages. La protection de l’accès aux services d’e-gouvernement, la vérification d’identité ou encore le document de voyage électronique conforme à l’OACI (Organisation de l’aviation civile international).
Pour le commun des citoyens, cette carte est synonyme d’une photocopie à insérer dans un dossier. Pourquoi cette « bridation » ?
Tout à fait vrai, cette carte est synonyme d’une photocopie à insérer dans un dossier, car les administrations demandent encore des copies même de la CNIBE dans les différents dossiers administratives, suite au manque de lecteurs de carte biométrique qui permet de lire la carte, ce qui rend la technologie embarquée dans la CNIBE n’est pas exploitable.
« il est strictement nécessaire de donner des instructions à toutes les administrations étatiques publiques et privées en vue de se doter de lecteurs de carte biométrique, selon les recommandations du portail Gouvernemental des Services Publics : bawabatic.dz »
Malgré la mise en œuvre et place de Numéro d’Identification National unique (NIN), qui qui est actuellement généré pour le passeport électronique est aussi réalisé pour la CNIBE. Il est une composante du registre national d’état civil et est destiné à éliminer les confusions dues aux erreurs d’orthographes et aux homonymies et améliorer aussi l’accès aux données d’identification du titulaire d’un document.
A cet effet, il est strictement nécessaire de donner des instructions à toutes les administrations étatiques publiques et privées en vue de se doter de lecteurs de carte biométrique, selon les recommandations du portail Gouvernemental des Services Publics : bawabatic.dz, pour permettre de lire la carte nationale d’identité biométrique électronique et accéder au service en ligne, et aussi se familiariser avec la numérisation et digitalisation.
Si la CNIBE était utilisée à son plein potentiel, quels seraient ses champs d’application ?
La carte nationale d’identité biométrique électronique algérienne est basée sur une technologie de pointe, les usages possibles sont illimités, elle pourrait servir de carte de paiement, carte de santé, carte de vote, carte de transport, etc…elle pourrait aussi être associée à des applications telles qu’un porte document électronique, un dossier de santé, une signature électronique,etc…
La plus importante des applications est l’identité numérique régalienne forte et sécurisée, c’est le pilier de la citoyenneté numérique, cette e-identité permettrait au citoyen de prouver son identité sur internet en accédant aux services en ligne du gouvernement et même aux services commerciaux.
L’identité numérique régalienne est essentiel de protéger l’identité des citoyens avec une solution solide et pérenne. Derrière la création de chaque identité se cache une série d’étapes nécessaires au respect des normes de sécurité les plus élevées, de l’enrôlement à la délivrance d’un titre d’identité (physique ou numérique), mais aussi tout au long de l’utilisation de la pièce d’identité.
« L’identité numérique régalienne délivrée par l’État constitue une source de confiance et permet au gouvernement de garantir un accès sûr aux services en ligne. Une identité numérique régalienne protège non seulement les individus dans leur vie quotidienne, mais participe également à accélérer la transition numérique d’un pays ».
L’identité numérique régalienne délivrée par l’État constitue une source de confiance et permet au gouvernement de garantir un accès sûr aux services en ligne. Une identité numérique régalienne protège non seulement les individus dans leur vie quotidienne, mais participe également à accélérer la transition numérique d’un pays.
Les solutions d’identité numérique permettent d’alléger les procédures administratives et offrent au gouvernement de nouveaux canaux pour communiquer auprès des citoyens. Elles jouent également un rôle stratégique dans la mise en relation entre les diverses parties prenantes d’un écosystème numérique : le gouvernement, les banques, les opérateurs mobiles, etc., et les consommateurs.
Que préconisez vous pour faire évoluer cette carte, notamment dans ce contexte de numérisation de l’administration à tous les niveaux ?
Les grandes réformes gouvernementales en cours visent à stimuler l’activité, diversifier l’économie et favoriser la création d’emplois dans le secteur privé.
« la politique de décentralisation et la mise en place d’une infrastructure d’e-gouvernement sécurisée, vont permettre à l’Algérie de rationaliser les services administratifs tout en offrant aux citoyens la possibilité d’accéder à des transactions électroniques et des services numériques, plus rapides et faciles d’utilisation ».
En particulier, la politique de décentralisation et la mise en place d’une infrastructure d’e-gouvernement sécurisée, vont permettre à l’Algérie de rationaliser les services administratifs tout en offrant aux citoyens la possibilité d’accéder à des transactions électroniques et des services numériques, plus rapides et faciles d’utilisation.
De ce fait, comme nous avons dit auparavant, il est nécessaire de doter tous les administrations publiques, privées, aéroports, entreprises économiques, hôpitaux, banques, postes et états civils de lecteurs de carte biométrique, pour utiliser la technologie embarquée dans la CNIBE.
Une utilisation minimaliste aurait été d’équiper les administrations de lecteurs de cartes NFC et d’utiliser le logiciel gratuit proposé par le ministère de l’intérieur : https://lnkd.in/egQyCNh5
Ainsi le citoyen n’aurait plus à présenter ni extrait de naissance, ni photocopie de carte nationale ni photos d’identité et l’agent du guichet n’aura plus à remplir manuellement sur son système d’information les données du citoyen.
R.B
Bio expresse
- Faouzi DJOUDI est Ingénieur expert spécialisé. Il a fait ses études de Génie Civil en Algérie et décrocha un diplôme d’Ingénieur en Génie Civil en 1999, option Construction Civil et Industrielle puis il est revenu à l’université d’Annaba, pour poursuivre ses études en 2020 et décrocha un diplôme de Master Structure Génie Civil. Actuellement il est expert spécialisé en Génie Civil et conseil construction chez des groupes multinationaux. Il contribue désormais à promouvoir de l’image de l’Algérie à l’échelle
nationale et internationale. Animé par le désir de semer l’espoir, en diffusant les informations et réalisations positives et en proposant des solutions efficaces aux problèmes existants, dans les différents secteurs afin de converger vers une Algérie émergente, plurielle et fière de sa diversité culturelle.