Le drame de Derna à travers les yeux de « Mohamed »

Le drame de Derna à travers les yeux de « Mohamed »  

Reportage réalisé par Saliha Ait- Said

Dans la nuit du 10 au 11 septembre, les habitants de Derna dans l’est de la Libye ont vécu le pire. L’Apocalypse, mais pas au sens biblique du terme.

En effet, le passage de l’ouragan Daniel dans la ville de Derna, avait provoqué un véritable déluge, emportant avec lui, des familles entières et leurs maisons. 

Deux semaines plus tard, la ville de Derna est encore endeuillée. Les habitants, réalisent à peine l’ampleur du désastre et s’imaginent mal reprendre une vie  » normale », après que les eaux déchainées aient tout emporté sur leur passage.

Le regard hagard, le cœur lourd et meurtri, le peuple libyen et surtout les habitants de la ville martyre de Derna, vivent ou plutôt survient au milieu des décombres.

Un drame qui aurait pu être évité

Ce dimanche 24 septembre, près de deux semaines après le passage de la tempête Daniel, une vingtaine de nouveaux corps ont été repêchés en mer.

Les secouristes libyens et internationaux sont toujours à pied d’œuvre même si l’espoir de retrouver les disparus s’amoindrit de jour en jour.

Et après le désarroi un sentiment d’incompréhension qui envahit le peuple libyen. Ce drame aurait pu être évité « La corruption politique et le manque d’administration en Libye ont été une cause majeure de la tragédie de Derna, car les barrages qui se sont effondrés n’avaient plus été entretenus depuis 2002 » a confié un jeune médecin de Benghazi à notre rédaction.

De la corruption naquit le drame…

A ce propos, et pratiquement au même moment où notre interlocuteur nous faisait part de son indignation quant à la négligence des responsables locaux, huit responsables libyens venaient d’être placés sous mandat de dépôt par le Procureur général, pour motif de « négligence » et « mauvaise gestion », dans le cadre des enquêtes diligentées au sujet de la rupture des deux barrages à Derna.

Notre interlocuteur qui veut garder l’anonymat et que nous appellerons « Mohamed », affirme qu’une étude de l’Université Al Bayda publiée dans le journal Sabha University, avait il y a un an déjà prévu quant aux conséquences de l’effritement des barrages de Derna

Pour Mohamed cette tragédie est le reflet de l’environnement politique et la corruption qui gangrène le pays depuis toujours : « En 2021 un bureau d’audit a révélé que budget d’entretien des barrages de Derna a été détourné », est-il indigné.

Derna, une ville dévastée

À l’« Union sacrée » du peuple…

Alors que le bilan des morts ne cesse de s’alourdir pour atteindre la barre des quinze mille morts, et des centaines de milliers de disparus, Derna la ville millénaire ancienne capitale cyrénaïque, prouve au monde le patriotisme profond qui anime le peuple libyen en transcendant les discordes politiques entre l’Est et l’Ouest du pays.

En effet depuis quelques mois et pour la deuxième fois depuis la chute de Mouammar Kadhafi suite l’opération Hartam menée par la France, le pays est divisé par deux gouvernements.

Dans l’Est, le gouvernement de l’unité nationale reconnu par l’ONU et dans l’ouest le gouvernement rival mis en place de façon unilatérale par le Parlement de Tobrouk.

Cet imbroglio n’a pourtant pas déteint sur les libyen se réjouit Mohamed, avant de lancer d’un ton franc, « un des aspects positifs de cette tragédie – si je peux me permettre l’expression – c’est cet esprit de réconciliation, d’unité et de cohésion sociale qui règne dans le pays ».

En effet dès les premiers échos de la tragédie qui se jouait à Derna, les libyens n’ont pas tardé à se mobiliser pour venir en aide aux rescapés des inondations.

Ils ont été des centaines ailleurs à s’être dirigé vers Derna pour aider à retrouver les survivants et ou des disparus.

Cette solidarité libo-libyenne, ou carrément une « union sacrée » n’a pas trouvé pourtant  échos auprès de la Communauté internationale qui a tardé à s’exprimer et à réagir, laissant une nouvelle fois la Libye face à son tragique destin.

Pour Mohamed, la communauté internationale ne s’est jamais souciée du bien-être des libyens, puisque seuls ses intérêts compte. « Le peuple est conscient que pour la communauté internationale s’intéresse à nous, il est soit question d’intérêts pétroliers ou de la crise des migrations clandestine », s’est-il offusqué, avant d’ajouter « Depuis longtemps déjà on ne fait plus confiance à cette dernière ».

Répond la « récupération » des politiciens !

Si Mohamed se réjouit de la cohésion sociale qui anime son pays depuis ces tragiques événements, il ne peut néanmoins, cacher ses inquiétudes, quant aux dimensions politiques de ces événements et des conséquences qu’elle pourrait avoir sur la scène politique du pays.

D’ailleurs pour lui, nombre de parties prenantes dans l’imbroglio libyen voit d’un très mauvais œil cette réconciliations nationale.

« Certains partis politiques ont clairement montré leurs craintes, allant même jusqu’à user d’arguments fallacieux pour dénoncer la solidarité des libyens, je fais référence notamment représentants du Parlement ».

Selon notre interlocuteur, ces « détracteurs de l’humanisme » sont animés par des ambitions politiciennes « Ils sont présent dans la scène politique libyenne que parce que le pouvoir législatif du pays est divisé en deux , si elle disparait c’est la fin des privilèges pour eux », fera-t-il remarquer.

On ne peut pas le cacher, la division des instances du pays se reflète sur la gestion de cette crise évidemment par exemple le gouvernement de l’est accuse le gouvernement de l’unité nationale d’entraver ses efforts en l’empêchant d’accéder à la Banque centrale de Libye et de bénéficier d’un budget de gestion de crise »

« Mohamed », un habitant de Derna

Pour ce jeune libyen l’équation est simple, mais dans la réalité du pays, tout semble se compliquer davantage, surtout que les puissances occidentales ne cessent de jouer aux « apprentis sorciers » dans ce pays, le plaçant au centre d’enjeux géopolitique sahélien, ouest africain et méditerranéen.

La profonde crise politique qui mine le pays entraîne des conséquences directes sur la gestion de la catastrophe, puisque les deux gouvernements rivaux ne cessent de s’accuser mutuellement de tout et de rien.

« On ne peut pas le cacher, la division des instances du pays se reflète sur la gestion de cette crise évidemment par exemple le gouvernement de l’est accuse le gouvernement de l’unité nationale d’entraver ses efforts en l’empêchant d’accéder à la Banque centrale de Libye et de bénéficier d’un budget de gestion de crise » poursuit Mohamed.

L’hommage appuyé aux sauveteurs algériens

À travers une campagne haineuse et nauséabonde, certaines parties connues pour leur hostilité envers l’Algérie et ses valeurs, ont en effet, tenté de semer la zizanie entre l’Algérie et la Libye et son peuple.

En effet, certaines « mouches » numériques, venant du voisin de l’Ouest, ont tenté par tous les moyens de salir la réputation des équipes de la protection civile algérienne dépêchées sur les lieux du désastre.

Ainsi, à cette campagne calomnieuse, Mohamed retroquera « Bien au contraire et j’en suis témoin. Les équipes algériennes nous ont été d’un grand secours, notamment avec leurs équipes de plongeurs. Leur expérience et surtout le dévouement, ont impressionné l’ensemble des libyens », a-t-il soutenu, avant d’ajouter « Preuve que ce ne sont que de’ allégations, je l’ai appris à travers vous(…) Les peuples libyens et algériens sont des frères et la solidarité algérienne n’est pas une surprise pour nous, car nous savons très bien faire la différence entre qui aime la Libye et son peuple et qui feint de l’être»

Pour notre vis-à-vis, les Libyens ne prêtent nullement attention à ces allégations tendancieuses qui tentent désespérément de diviser le peuple des deux pays.

Une résilience à toutes épreuves

En plus des pertes humaines et matérielles, des traumatismes, les inondations de Derna ont également ensevelit, en effet, Cyrène ville antique inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

« Derna c’est aussi l’âme de la Libye antique, un témoin vivant de glorieuse histoire…Malheureuse, elle se littéralement rayée de la carte par cette catastrophe ». Mohamed ne peut cacher au son de sa voix l’émotion vive provoque en lui cette tragédie qui restera gravée dans la mémoire commune de tous les libyens.

 Il semble résolument tourné son regard vers l’avenir et refuse de baisser les bras « nous les libyens ont a traversé tellement d’épreuves, et s’est toujours relevé et on va cette fois –ci encore, nous le feront et écrire une autre page glorieuse de notre histoire ».

La résilience de Mohamed est à l’image du peuple libyen, à Derna les écoliers ont repris les bancs de l’école hier, la vie reprend peu à peu son droit au milieu des décombres et de la désolation laisser par Daniel après son passage. Les séquelles de la tragédie viennent ainsi accompagner ce peuple déjà meurtrie mais jamais résigné ! William Ernest Henley a écrit « Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme » et semble bien que ces mots sonnent comme des vérités pour les libyens.

Un  » pion » entre des mains malveillantes

Depuis 2011, c’est au gré des tragédies que se façonne le destin des libyens.

D’abord l’opération Harmatan menée sous l’égide de la France, dont les raisons belliqueuses posent aujourd’hui, un sérieux problème à la communauté internationale, surtout que la légitimité même de l’intervention est remise en cause par les experts en droit international.

S’ensuivirent guerre civil, abcès sécuritaires , et ingérence des puissances étrangères, chacune veut sa part des richesse pétrolières du pays .

Ce n’est un secret pour personne, le « bourbier libyen » dépasse les frontières du pays, lequel se retrouve bien malgré lui, en positionde « pion » de l’chéquier mondial avec des répercussions directes sur son espace géographique.

S.A.S

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