Si dans le Nord et les grandes villes du pays, les mariages collectifs s’assimilent à un immense banquet où l’aspect folklorique, voire bancal prend le dessus sur la symbolique de l’événement, lequel excusez du peu, constitue littéralement le début d’une nouvelle vie pour les concernés, dans le Sud et plus particulièrement à Ghardaïa, ce genre de fête, prend une toute autre ampleur.
Exit le brouhaha des « chansons » de cheb X et chebba Y ; nulle trace de petits trublions sur leurs motos vêtus en joggings en donnant faussement l’air de festoyer avec les heureux élus, le tout sous les « bombardements » incessants des pétards et autres feux d’artifice, pour ne citer que ces « bizarreries ». À Ghardaïa et plus précisément à Metlili, à 45 kms au sud du chef-lieu de la wilaya, un quartier populaire et populeux s’il en est, les mariages collectifs, possèdent encore ce caractère « sacré » qui force le respect et l’admiration.
En cette fraîche soirée du samedi 24 janvier 2024, nous avons pu assister à l’un d’entre eux. Pour les autochtones, ce qui suit est un fait anodin, à la limite de la banalité. Toutefois, pour le visiteur de passage, ou un invité « profane », ces festivités le transporte vers un tout autre univers, où l’union d’un homme à sa femme, par les liens sacrés du mariage, a des allures de sacrement : Reportage.
Réalisé par Lakhdar Kachemad
En effet, ils n’étaient pas moins de 18 000 convives, installés sur des centaines nattes étalées dans le lit de l’oued de Guemgouma, afin d’assister aux noces de vingt et un jeunes hommes, ayant définitivement dit « au revoir » au célibat.
Assis et vêtus en tailleur au beau milieu d’une très longue estrade sur laquelle devaient être « exposés » les futurs mariés, le très populaire imam de Metlili et élève du défunt Cheikh Belekbir, l’imam Remma et faisant face aux milliers de convives, habillés tout en blanc d’une Abaya (gandoura) et d’un chèche, habits traditionnels des Châambas, n’a pas été avare en anecdotes, dont lui seul en possède le secret.
Un prêche et des « avertissements »
Ainsi, ce sage a beaucoup appelé à la fraternité entre tous les enfants de ce grand pays et appelé les jeunes à respecter les coutumes et traditions qui vont dans le sens du respect de notre noble religion. Abordant ensuite le volet politique, il a demandé aux jeunes de ne pas tomber dans le piège de ceux qui les appellent à se rebeller contre leur pays. « Ne les écoutez pas. Ils veulent que notre pays subisse le même sort que la Syrie, la Libye et l’Irak. Mais grâce à Dieu, à notre armée populaire et nos services de sécurité, notre pays est et restera debout ! », clôturant son intervention par une boutade dont il délectera l’assistance « ils ont voulu créer entre le peuple et ses gouvernants des dos d’ânes, mais ils ont échoué », a-t-il fait remarquer.
Les jeunes hommes s’apparentent à un nouveau départ, parés de leurs plus beaux habits. Crédit photo L. Kechemad
La « mosaïque » du M’zab rassemblée
L’autre belle surprise est la présence massive de Mozabites, parmi lesquels nous avons reconnus des sénateurs, des députés, des élus APW et APC, des directeurs d’entreprises, des notables, des Aâyanes et des représentants d’associations et de la société civile de la communauté Ibadite de toute la vallée du M’zab et des Ksars de Berriane et de Guerrara.
Ils étaient reconnaissables de loin avec leurs belles tenues traditionnelles, abayas blanches et sarouals, coiffés de chéchias blanches immaculées. C’était très beau, ce superbe panorama de chéchias et chèches ensembles à Metlili, le berceau des Châambas. Une belle leçon de fraternité et de convivialité administrée à la face de tous les oiseaux de mauvais augure, par cette superbe mosaïque culturelle et cultuelle des enfants d’un même peuple, d’un même pays, l’Algérie.
L’ex-Premier ministre, Ahmed Benbitour en « Guest ». Crédit photo L.Kachemad
Sous la « bénédiction » de feu Sidi-Mohamed Belkbir
À ne pas omettre de signaler que parmi les convives, des centaines d’entre eux sont aussi venus de lointaines régions dont Adrar, El-Bayadh, Laghouat, Djelfa, Tlemcen, pour assister à cette cérémonie au cours de laquelle douze jeunes hommes, qui ont conclu et appris intégralement le Coran, ont été honorés et récompensés par des cadeaux.
Entièrement financée par des bienfaiteurs et organisée dans un climat festif par l’association caritative et religieuse locale « Cheikh Sidi Mohamed Belkbir », un vénéré saint considéré comme le dernier Saint patron du Touat, dont la zaouïa à Adrar a rayonné depuis de longues années jusqu’aux confins des pays sahéliens, décédé le 15 septembre 2020, à l’âge de 89 ans, la cérémonie de mariage collectif s’est déroulée dans la pure tradition ancestrale de la région.
L’ « wazir » ou le « bras droit » du futur marié
Après le rituel dîner du mariage « couscous garni de viande de chamelon », la tradition ancestrale de la région veut que les futurs mariés accompagnés de leurs vizirs (aide camps) et munis d’effets vestimentaires de circonstance, s’installent devant les invités sur une estrade aménagée pour la circonstance pour l’ultime cérémonie d’habillage du nouveau marié.
En effet, chaque nouveau marié est habillé, par un vizir choisi au préalable par sa famille, devant l’assistance qui fredonne des chants religieux ainsi que des louanges et panégyriques à Allah et le Prophète Mohamed (QSSL). Une cérémonie d’habillage similaire, réservée exclusivement aux femmes, est également organisée parallèlement chez les futures épouses. Des prêches portant sur les vertus du mariage dans la consécration des valeurs de stabilité et de la solidarité sociale ainsi que le rôle du couple dans la consolidation de la société musulmane sont prononcés durant la cérémonie de mariage par des imams.
Un récitateur du Saint Coran récompensé. Crédit photo L. Kechemad
Des valeurs immuables en héritage
À la fin de la cérémonie, les mariés parés de leurs superbes tenues traditionnelles, sont alors chacun déposés au seuil de sa porte par ses amis, rejoignant ainsi sa dulcinée pour une nouvelle vie de couple, alors que la foule se disperse dans une joyeuse cacophonie nocturne.
Selon l’un des organisateurs de cette cérémonie, « il faut du temps et de la patience pour réussir de telles cérémonies. En effet, les préparatifs prennent plusieurs semaines, si ce n’est des mois pour, d’une part assurer toute l’intendance et d’autre part préparer les jeunes mariés à leur nouvelle vie conjugale. ».
Sur la portée de ce genre de cérémonies, il précise, « cet événement constitue une occasion pour promouvoir et enraciner les valeurs de solidarité et de cohésion sociale au sein de notre société ». D’ailleurs, ajoute-t-il « l’objectif escompté à travers ce type d’évènement est d’encourager et d’aider les jeunes en situation précaire à sauter le pas en fondant un foyer. ».
L.K