K.Tighilt
À peine primé lors du prestigieux prix d’Assia Djebbar, dans la catégorie roman en langue arabe, voici que le livre «Houaria» de l’auteur Inaam Bayoud, suscite la polémique et la controverse, auprès d’une certaine frange de lecteurs.
L’objet du «crime», car cela en est un pour une poignée de lecteurs, dont les dogmes et les paradigmes, sont pour le moins que l’on puisse, sclérosés, réside dans le fait que cet ouvrage contiendrait des passages jugés «indécents», pouvant faire allusion à une présumée «relation charnelle».
Le conditionnel est de rigueur, puisque la plupart des détracteurs du lauréat du Grand prix Assia Djebbar, avouent volontiers ne pas avoir lu le livre et qu’ils se fient à des «ouïe dires», pour se faire une idée et le clouer au pilori. C’est dire que ce sont des «lecteurs» extrêmement avisés…
« Un un peuple qui lit…»
La polémique est telle que les éditions Mime viennent de jeter « la plume » sous « la table », en publiant un communiqué lourd de sens. «Nous annonçons que Mim a désormais fermé ses portes, contre le vent et contre le feu. Nous n’étions que des défenseurs de la paix et de l’amour, et nous ne cherchions qu’à diffuser cela», soutien cet éditeur.
Et de conclure, non sans un dépit certain «Préservez le pays de la dispersion et préservez le livre car un peuple qui lit est un peuple qui ne peut être ni asservi ni affamé…(…)». Cette dernière phrase, symbolise l’absurdité de cette «affaire», puisque dans les faits, rares sont ceux qui lu cet ouvrage et de ce fait, ont le droit d’émettre une quelconque critique. La «meute» est manifestement manipulée à dessains, qui ne peuvent qu’être obscurs.
Devant une telle aberration intellectuelle, la première victime n’est pas l’auteur, qui a accompli librement son acte d’exprimer ses idées, et dont le livre vient d’obtenir un grand élan de solidarité, pour ne pas dire le « Prix populaire de la résistance», mais, plutôt les éditions Mim, qui vient de baisser rideau.
Levée de bouclier!
Cet acharnement sur la liberté d’écrire et de penser n’a pas laissé des écrivains, des éditeurs et des universitaires sans voix ! Heureusement d’ailleurs. Il fallait encore une fois, faire face aux démons qui voient le livre, l’art et la création artistique tel un objet «interdit », se basant sur des pensées dépassées.
L’écrivain et poète Lazhari Labter a lourdement réagi : « Je m’arroge le droit de l’évoquer car au-delà de la lecture, c’est la levée de boucliers des gardiens du temple prompts à tirer sur tout ce qui dépassent leurs lignes rouges qui pose question », a-t-il estimé.
« Je m’arroge le droit de soutenir le choix du jury du prix Assia Djebar car je connais la plupart de ses membres et je n’ai aucune raison de mettre en doute leur choix– en plus du fait que la décision d’un jury est souveraine comme celle de tous les jurys à travers le monde », écrit-il entre autres.
« Je m’arroge le droit de pousser ce coup de gueule car ces incultes ne savent pas que sans la transgression du triangle interdit, sexe, politique et religion, la littérature ne serait pas la littérature mais une oeuvre de bienfaisance de Dame patronnesse », peut-on aussi relevé dans la longue réaction de ce poète.
Les « familles qui reculent vers…le néant»
L’universitaire Ahmed Tessa a exprimé son soutien indéfectible à l’auteur de Houria. « Elle est algérienne, polyglotte, pétrie de cultures ( au pluriel), intellectuelle de talent et engagée pour une Algérie enracinée dans son identité millénaire et ouverte sur la modernité. Il s’agit de Mme Inaâm Bayoud dont le roman »HOUARIA » en langue arabe est l’objet d’une levée de bouclier de la part des familles qui reculent vers…le néant », a-t-il réagit, en faisant une subtile référence à feu Tahar Djaout et sa famille qui avance.
Déjà lauréate du Prix Assia Djebbar, l’écrivaine Llynda Chouiten a estimé qu’ « On n’évalue pas un roman selon qu’il contienne des mots inconvenants ou pas, mais selon la valeur esthétique de l’ensemble du texte, son innovation stylistique, la profondeur des personnages, la structure narrative etc. La littérature cultive le sens critique et esthétique; ce n’est pas un pamphlet moraliste ».
En dernier, cette phrase de l’artiste plasticien M’hamed Issiakhem, interpelle. « Je considère qu’un pays sans artistes est un pays mort. J’espère que nous sommes vivants, que notre pays est vivant et que notre société a besoin d’artistes».
K.T