En décidant de régulariser le commerce du « cabas », le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, rompt avec une logique répressive de l’État. Cependant, derrière cette décision que d’aucuns qualifient d’« historique », c’est un « modèle économique » chancelant et à bout de souffle qui transparaît.
Ainsi, les tenants et aboutissants et surtout les enjeux d’une telle décision, hautement révélatrice d’un tournant économique majeur, ont été passés au crible par les experts du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (CARE).
Une décision « tardive » de l’État
En effet et d’après le document de ce comité d’experts économiques, cette régularisation « tranche radicalement » avec l’« approche répressive » traditionnellement adoptée par l’État à l’égard de ce secteur, considéré jusqu’alors, comme une forme de fraude à combattre, estiment en préambule les rédacteurs de ce rapport.
Toutefois, ce Cercle, nuancera ses propos élogieux en considérant que l’État a « tardé » à se rendre compte de la « nécessité » d’une telle « reconnaissance », laquelle est selon le CARE, « une réalité socio-économique ancrée dans la survie plutôt que dans la délinquance », est-il mentionné.
Le même rapport souligne également que derrière l’« effet d’annonce » se profile pourtant une série de questions plus profondes, liées à l’absence d’une stratégie économique cohérente, à une « gestion erratique » de l’informel et à des réformes structurelles constamment différées.
Commerce du cabas, ou le symptôme d’un déséquilibre systémique
Ce panel d’experts, enchaînera ensuite, en soutenant qu’avant de chercher à encadrer ou contrôler ce commerce, encore faudrait-il, selon eux, en comprendre les origines. « En Algérie, cette pratique a pris une dimension singulière, échappant à toute lecture strictement juridique ou fiscale. Elle est devenue, faute d’alternative viable, un mode de subsistance pour des centaines de milliers de citoyens », est-il relevé.
Le même rapport, note également le fait que cette « informalité » résulte d’une accumulation de « décisions politiques incohérentes » et de « dispositifs réglementaires instables », est-il en outre mis en exergue.
Dans leur document, les membres du CARE, reprochent ouvertement à l’État, à travers son « inaction » ou plutôt sa politique de « répression » de ce type de commerce, d’avoir fait de ce dernier une « institution de l’ombre ». « À force de réagir plutôt que de planifier, l’État a transformé ce phénomène en institution de l’ombre, révélant l’urgence d’une régulation claire, inclusive et stable – à l’image de ce que pratiquent de nombreux pays émergents », déplore le CARE.
Une politique commerciale en « pilotage automatique »
Ce cercle économique, connu et réputé pour ne pas faire dans la « langue de bois », ni dans les constats dithyrambiques, estime également que, la prolifération du commerce informel reflète le « manque de vision stratégique » dans la gestion du commerce extérieur. « L’instabilité réglementaire, notamment en matière d’importation, décourage les opérateurs et compromet toute visibilité », écrivent-ils.
Ensuite, le CARE ira jusqu’à remettre en question la politique du Commerce extérieur, mise en place par les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays, notamment dans le secteur des exportations hors hydrocarbures « les exportations demeurent le parent pauvre des politiques publiques. Les accords commerciaux internationaux, tels que l’accord d’association avec l’Union européenne ou celui de libre-échange arabe, sont traités avec désinvolture, voire relégués aux oubliettes. Ce flottement fragilise la crédibilité du pays sur la scène économique internationale », déplore-t-on.
Un potentiel de «2 à 3 milliards de dollars » en jachère
Revenant au business du « cabas », ce panel considère qu’il ne « constitue pas un enjeu central », mais il révèle « les angles morts » de la gouvernance économique.
Par la suite, le CARE révèle une « information », laquelle et de son propre aveu est à « prendre avec des pincettes ». « Selon plusieurs sources, ce commerce concernerait, sans confirmation aucune, quelques centaines de milliers de personnes, et représenterait un flux marchand annuel de 2 à 3 milliards de dollars », indiquent les rapporteurs du CARE.
Ces derniers, qui s’érigent en farouches défenseurs du commerce du « cabas », déplorent les critiques formulées par certains opérateurs économiques, qui se lamentent sur un hypothétique « manque à gagner fiscal » ou une forme de « concurrence déloyale ». « Ces griefs ignorent la réalité du terrain. Ce commerce informel ne disqualifie pas l’offre nationale, il la stimule indirectement en lui révélant ses faiblesses », tranchent-ils.
Un « baromètre » à prendre en considération
Poursuivant leur « plaidoyer » en faveur du commerce du cabas et sa légalisation, les auteurs de ce rapport, estiment qu’il assure « plusieurs fonctions vitales ». « Il permet l’accès à des produits introuvables localement, alimente la consommation populaire à prix accessibles, et agit comme un observatoire informel des tendances du marché », assurent-ils.
Mieux, ils soutiennent que ce type de commerce, est « loin de nuire à la production nationale », comme il est clamé ici et là, mais selon eux, il en révèle les limites, obligeant les producteurs à s’adapter aux préférences réelles des consommateurs. « Il joue, en ce sens, un rôle que ne remplissent ni les salons professionnels subventionnés, ni les études de marché théoriques ».
Encadrer sans briser : une approche pragmatique
Dans la foulée, le CARE entend bien nuancer quelque peu cet éloge du commerce du « cabas », en soulignant ses dérives et ses dangers, tout en exhortant les pouvoirs publics à appliquer leur « répression » vis-à-vis des contrevenants dans le cadre de la future loi visant à réglementer ce commerce. « Plutôt que d’interdire, l’État peut agir avec discernement : contrôles aléatoires, formation des petits commerçants, normes simplifiées d’étiquetage, collaboration avec les associations de consommateurs », préconise ce Cercle.
Pour ce dernier, ce sont-là des mesures simples, peu coûteuses et non stigmatisantes, qui permettraient, d’après le CARE, de sécuriser cette activité tout en en reconnaissant son utilité sociale.
Régulariser pour mieux réformer !
En conclusion, ce rapport « sucré-salé » met en évidence la « défaillance » de système économique national, à travers le prisme du commerce du « cabas », qui selon les rapporteurs, incarne, à lui seul, les conséquences d’une gouvernance « sans cap », une « administration peu réformée », et d’un « refus persistant » d’assumer les nécessaires ruptures avec les pratiques du passé.
Le CARE conclu son analyse, en soulignant le fait que la régularisation du commerce du « cabas », n’est pas une fin en soi, mais plutôt une étape vers une meilleure gouvernance économique. « Il ne s’agit pas de faire du commerce du cabas un enjeu national, mais de le considérer pour ce qu’il révèle : un déficit de gouvernance, une économie sous tension, un système incapable de se réformer en profondeur. C’est dans ce reflet, aussi trouble soit-il, que résident peut-être les véritables pistes de la refondation », assène-t-il.