Le célèbre réalisateur de chef d’œuvre Interstellar Christopher Nolan est au cœur d’une controverse internationale depuis que son prochain film, The Odyssey, a entamé son tournage à Dakhla, une ville située au Sahara occidental — un territoire non autonome, selon l’ONU, et militairement occupé par le Maroc depuis près d’un demi-siècle.
Ainsi, le Festival international du film du Sahara occidental (FiSahara) a lancé un appel direct au cinéaste britannique, ainsi qu’aux vedettes du film telles que Matt Damon et Zendaya, pour qu’ils suspendent immédiatement le tournage. « Dakhla n’est pas seulement un décor de rêve pour le cinéma. C’est une ville occupée, militarisée, où la population sahraouie subit une répression brutale », déclare le festival, basé dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie.
Un tournage sous tension géopolitique
Le 17 juillet dernier, l’arrivée de Nolan et de son équipe à Dakhla a été largement médiatisée par la presse marocaine, qui les a accueillis comme des invités de marque dans ce qu’elle appelle les « provinces du Sud ». Pourtant, selon le droit international, le Sahara occidental demeure un territoire colonisé dont la décolonisation reste inachevée, et ce malgré la trêve signée en 1991 entre le Maroc et le Front Polisario sous l’égide des Nations Unies.
Pour FiSahara et de nombreuses ONG de défense des droits humains, la présence de l’équipe hollywoodienne dans cette zone sensible revient à cautionner — même involontairement — la politique marocaine d’occupation et de répression du peuple sahraoui. « Tourner dans un territoire qualifié de « désert pour le journalisme » par Reporters sans Frontières, c’est renforcer le contrôle narratif imposé par Rabat », déplore María Carrión, directrice exécutive du festival.
La culture sahraouie muselée, le cinéma utilisé comme instrument
Depuis plusieurs années, les autorités marocaines mettent en place une stratégie culturelle destinée à légitimer leur emprise sur le Sahara occidental. Cela inclut la création de festivals de cinéma à Dakhla, la production de films d’État glorifiant l’unité territoriale du royaume et la récupération d’éléments de la culture sahraouie. En face, les Sahraouis ne peuvent produire leurs propres œuvres qu’en clandestinité.
Le collectif Equipe Media, par exemple, a dû filmer en secret le documentaire Trois caméras volées, qui relate les violences policières et les violations des droits humains à Laâyoune. Ce film est l’un de ceux que FiSahara recommande vivement à Nolan et à son équipe de visionner, aux côtés du reportage Quatre jours au Sahara occidental : la dernière colonie d’Afrique, produit par Democracy Now!.
Hollywood au cœur d’un conflit invisible
FiSahara souligne que Nolan, Damon, Zendaya et le reste de l’équipe ne mesurent peut-être pas pleinement les implications de leur présence à Dakhla. « S’ils comprenaient qu’ils tournent dans une zone où les autochtones ne peuvent même pas raconter leur propre histoire, ils en seraient horrifiés », insiste Carrión. Elle rappelle également que la région est interdite à de nombreux observateurs internationaux, ONG et journalistes.
« Le Maroc ouvre grand ses portes à ceux qui participent à la fiction de l’intégration du Sahara occidental : touristes, entreprises exploitant les ressources naturelles, ou célébrités internationales servant de vitrines. Mais les défenseurs des droits humains, eux, sont systématiquement refoulés », ajoute-t-elle.
Un appel à la responsabilité éthique du cinéma
Par ailleurs, depuis sa création il y a près de vingt ans, FiSahara s’est donné pour mission d’allier culture et plaidoyer politique, en organisant son festival dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf, en Algérie. Des figures du cinéma comme Javier Bardem ou des défenseurs des droits humains comme Michael Ratner y ont déjà pris part, réaffirmant la place du 7e art dans la défense des peuples oubliés.
Enfin, le festival appelle aujourd’hui Nolan à faire un pas de côté. Non pas contre le Maroc, mais en solidarité avec un peuple qui attend toujours le droit à l’autodétermination que les Nations Unies lui ont promis. Dans son communiqué, FiSahara ne remet pas en cause le film en soi, mais son implantation géographique : « Il est encore temps de rectifier le tir. Il est encore temps d’écouter la voix des opprimés. »