Salim Bensdira, metteur en scène de « H’bali » : « Nous continuons à croire que la langue française est un butin de guerre »

Salim Bensdira, figure emblématique du théâtre algérien, revient sur scène avec une pièce poignante, H’bali (Ma Folie), adaptée du texte d’Ismaël Aït Djafar : “La Complainte des mendiants arabes de la Casbah et de la petite Yasmina tuée par son père”.

À l’occasion de cette création, M. Bensdira a accepté de nous accorder une interview pour revenir sur les origines de ce projet, son processus créatif et les messages qu’il souhaite transmettre à travers cette œuvre puissante.

JUST-INOFDZ : Comment avez-vous découvert ce texte, et qu’est-ce qui vous a touché personnellement dans cette histoire tragique ?

  • Salim Bensdira : Nous, les « compagnons de Nedjma » activant principalement dans le domaine théâtral en particulier et artistique en général, avons découvert ce long et douloureux poème au milieu des années 1990, la lecture de la préface de Kateb Yacine écrite en 1987 qu’il avait intitulée à juste titre « Les fruits de la colère ». Aussi et compte tenu de la sensibilité et du regard que l’auteur apporta au drame évoqué tiré d’une histoire vraie, il nous a paru plus que nécessaire d’en faire une large diffusion à travers l’instrument que nous maitrisons : le théâtre, afin de dénoncer la situation dramatique des algériens, sous le joug colonial. Partant de ce terrible constat, une première tentative a été apportée par la compagnie « The-atre » d’Alger avec une mise en scène signée par Adellatif Bounab, membre fondateur de la Coopérative « Les compagnons de Nedjma ». Cette première a été donnée à Bruxelles lors de l’édition 2003 du festival international du théâtre Africain.  L’expérience a été renouvelée, dans la cadre d’un jumelage entre les compagnons de Nedjma et la Cie théatrâle « PUZZLE » activant à Nantes. Nous avions cependant pris quelques libertés avec le poème et avions introduit des passages empruntés aussi bien à feu Kateb Yacine ayant trait à « l’école » et à Maxime Goki à travers son incontournable œuvre de la littérature soviétique « La Mère » partant du fait qu’on ne retrouve nulle trace de la mère de Yasmina. Ce travail que nous avions intitulé « La ronde des Mendiants » auquel a bien voulu contribuer un metteur en scène italien en l’occurrence Carlo Bozo, au regard de la force du texte de Ait Djaffer. À travers cette œuvre, l’on saisit aisément la douleur de tout un peuple d’autant plus que ce moment intervient peu après les révoltes du 08 mai 1945 d’où le titre évocateur de la préface de K.Yacine « Fruits de la colère ».  Il écrivit dans cette même préface « … long cri de douleur, d’une telle violence qu’on y retouve après coup l’imminence de l’orage, l’annonce de Novembre ». Voilà pourquoi ce texte est considéré comme une référence historique notamment sur la situation et le vécu des Algériens de l’époque. Ce poème ne laisse personne indifférent, il est troublant.

Ce poème a été dédié à tous ceux qui n’ont jamais eu faim. Ceux-la même qui, par trop souvent, oublient le prix de la guerre et des souffrances endurées.

La pièce se déroule dans l’Alger de 1949, sous le joug colonial. Pensez-vous que les thèmes de la pièce – l’oppression, la misère, la violence systémique – résonnent particulièrement dans le contexte algérien d’aujourd’hui ?

  • Les thèmes, certes, ne résonnent pas dans leur totalité dans le contexte actuel, mais constituent un moment important de notre histoire actuelle et particulièrement dans le déclenchement de la Guerre de libération Nationale. Il faudra souligner que ce poème a été dédié à tous ceux qui n’ont jamais eu faim. Ceux-la même qui, par trop souvent, oublient le prix de la guerre et des souffrances endurées. Ces thèmes demeurent, en quelque sorte, un moment crucial de notre histoire. C’est de ce fait qu’ils doivent être sans cesse rappelés pour éviter les marches arrière de l’Histoire qui reste la seule et unique barricade contre l’oubli. Et notre travail s’inscrit en ligne droite dans le combat contre la culture de l’oubli.   

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Ismaël Aït Djafar ?

  • Parler de Ait Djaffer c’est surtout parler de sa poésie et plus particulièrement de la charge émotive que chaque mot renferme. Le mot de Ait Djaffer est trop vivant et vous explose à la figure comme une grenade dégoupillée. Personne ne sortira indemne à la lecture de ce texte. La blessure demeure vivace. Notre coopérative n’a malheureusement pas eu la chance de connaitre l’auteur, encore moins collaborer avec lui. Toutefois, nous avons travaillé avec beaucoup de plaisir sur son texte que nous avons, par ailleurs, adapté en arabe Algérien.

Avez-vous eu la sensation d’être « habité » par le personnage que vous incarnez ?

  • Mettre en scène un tel récit nécessite une forte expérience et une maitrise de soi. Il s’agit en outre d’une première expérience dans la langue de Molière, ce qui n’est pas évident.   Nous continuons à croire que la langue française est un butin de guerre.

Quel message espérez-vous que le public retienne de cette pièce ?

  • Le seul et unique message que la coopérative souhaite transmette au travers de ce texte qui demeure pour note compagnie un choix réfléchi, c’est toujours lutter contre les injustices ici ou ailleurs et raviver à chaque fois que cela est nécessaire, la mémoire collective seule véritable ciment de notre force en tant qu’Algériens.

Après Ma Folie, avez-vous d’autres projets en cours, que ce soit au théâtre ou dans d’autres domaines artistiques ?

  • Le problème reste l’absence de diffusion et de programmation à travers les théâtres régionaux et autres établissements culturel, sinon, les projets ne manquent pas. Nous sommes en train de préparer une journée pour commémorer le 8 mai 1945. Pour ne rien vous cacher, nous avons ramassé une partie des textes d’appui et de réflexion. Nous projetons aussi de reprendre le même spectacle H’Bali dans sa version adaptée en daridja (Arabe algérien). 

Entretien réalisé par Amina.A

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