En pleine période de tensions diplomatiques entre Alger et Paris, un vent de pragmatisme souffle sur les relations économiques entre les deux pays.
Hier, Rodolphe Saadé, PDG du géant maritime français CMA CGM, a été reçu par le président de la République Abdelmadjid Tebboune, pour sceller plusieurs accords stratégiques portuaires et logistiques. Une visite symbolique, et surtout, un signe fort que le volet économique continue de jouer sa partition malgré la brouille politique.
Une visite longtemps attendue
En effet, initialement prévue en avril dernier, la venue de M. Saadé avait été annulée à la dernière minute, sous pression diplomatique française, dans un contexte tendu marqué notamment par l’arrestation d’un employé consulaire algérien en France et le blocage de plusieurs dossiers industriels. Cette fois, la délégation de CMA CGM a pu signer plusieurs contrats portant sur plusieurs milliards d’euros, avec pour pièce maîtresse la concession du port d’Oran, que le groupe ambitionne de transformer en hub régional méditerranéen.
« Nous croyons fermement au potentiel de l’Algérie et à ses opportunités d’investissement », a déclaré Rodolphe Saadé à l’issue de la rencontre. « Malgré les difficultés, nous sommes déterminés à avancer ensemble et à lancer plusieurs projets dans le secteur portuaire et logistique », a-t-il ajouté, se félicitant du soutien des autorités algériennes, notamment du ministre des Transports Saïd Sayoud.
Le port d’Oran, projet phare pour un avenir logistique
Le projet pharaonique du port d’Oran prévoit la construction d’un terminal à conteneurs de grande capacité et d’une plateforme logistique intégrée, qui pourrait générer plus de 2000 emplois directs. CMA CGM envisage aussi de renforcer sa présence dans plusieurs autres ports algériens — Alger, Béjaïa, Annaba, Skikda — et d’ouvrir une nouvelle ligne maritime directe entre Marseille et Oran via sa filiale « La Méridionale ».
Cette offensive économique survient dans un climat diplomatique toujours fragile. La récente arrestation en France de trois ressortissants algériens, dont un agent consulaire, a ravivé les tensions, malgré la tentative de normalisation affichée par la visite en mars du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. En parallèle, la coopération portuaire avec d’autres acteurs étrangers, notamment le groupe émirati DP World, semble en recul, en raison des frictions politiques entre Alger et Abou Dhabi.
Par ailleurs, la décision prise par l’Association des banques et établissements financiers algériens de bloquer en 2024 les contrats impliquant des transbordements via les ports marocains a directement impacté certaines opérations de CMA CGM, soulignant l’importance stratégique d’une implantation locale forte.
Rodolphe Saadé, un médiateur discret entre Alger et Paris ?
Dans ce contexte, la stratégie du groupe français apparaît claire : miser sur une alliance étroite avec les autorités algériennes pour consolider sa position en Méditerranée occidentale. La réussite du projet à Oran pourrait non seulement repositionner CMA CGM comme un acteur-clé du secteur maritime en Algérie, mais aussi faire du pays un véritable carrefour logistique reliant l’Afrique du Nord à l’Europe du Sud.
Rodolphe Saadé, personnalité influente aux multiples casquettes — troisième acteur mondial du transport maritime conteneurisé, mais aussi propriétaire de médias en France — semble jouer un rôle au-delà de son entreprise, en tant que pont potentiel entre Alger et Paris, dans l’espoir d’une décrispation des relations bilatérales.
Malgré les aléas politiques, la visite du PDG de CMA CGM illustre une réalité : l’économie, pragmatique et tournée vers l’avenir, continue de rapprocher les deux rives de la Méditerranée, avec des projets ambitieux et des investissements majeurs en jeu.