Le Raï, ou le « soft power » à l’algérienne

Le Raï, ou le « Soft Power » à l’algérienne

Du fin fond de l’Ouest algérien aux plus grandes scènes internationales, le Raï Algérien, ce chant populaire emblématique, a marqué son entrée dans la prestigieuse liste de l’UNESCO fin 2022, suite à un travail de recherche approfondi mené par une équipe de chercheurs algériens.

Une reconnaissance et une consécration bien méritées pour ce genre musical séculaire, qui a atteint une renommée mondiale dans les années 1990, portée par des artistes emblématiques tels que Mami, Khaled, Zahounia, Cheb Hamid, feu Cheb Hasni et Cheikha Remitti.

Oran célèbre « Raï Bladi » en août   

En effet, du 3 au 9 août, Oran va rayonner de joie et de musique lors des « Journées du Raï ». Selon ses initiateurs, cette célébration revêt une importance toute particulière suite à la reconnaissance officielle du Raï algérien en tant que patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. En partenariat avec l’Union nationale des arts culturels et avec la participation active de diverses associations, dont l’Association culturelle Racines de l’art et du patrimoine algérien, ces journées sous le thème « Raï Bladi » promettent d’inscrire un moment inoubliable dans l’histoire culturelle de l’Algérie.

Un programme à la mesure de l’événement

Pour marquer cette occasion spéciale, le Comité d’organisation a prévu un programme varié et riche. Au cœur des festivités, un forum inaugural intitulé « Le Raï au cœur de la musique méditerranéenne » rendra hommage à l’éminent chercheur et universitaire Hadj Miliani.

En parallèle, des expositions d’archives et de photographies retraceront l’évolution captivante du Raï, tandis que des concerts mettront en lumière les instruments traditionnels et contemporains. Des distinctions seront également remises à des artistes et acteurs qui ont marqué l’histoire musicale du Raï » peut-on lire dans un communiqué du Comité d’organisation. Des projections de documentaires relatant l’histoire et l’évolution du Raï, ainsi que des soirées artistiques, viendront enrichir l’expérience des participants.

Nuit blanche au stade Ahmed Zabana

L’événement culminera le 9 août avec un grand concert suivi d’un spectacle de feux d’artifice au stade Ahmed Zabana. Cette soirée non-stop constituera le point culminant de la célébration, offrant au public un spectacle musical incomparable.

Ce concert mettra en lumière l’histoire et la richesse du Raï, depuis ses modestes débuts dans les régions bédouines jusqu’à son rayonnement contemporain à travers le monde. De nombreux artistes, tant nationaux qu’internationaux, seront présents pour rendre hommage à cette tradition musicale emblématique selon la même source.

Hommage posthume aux « piliers » du Raï

Ce moment fort de la célébration sera également l’occasion de rendre hommage posthume à plusieurs artistes ayant contribué à l’évolution et à la promotion du Raï, tels que feu Cheb Hasni, Cheikha Rimitti, Cheb Aziz, Cheb Akil, Cheb Azzedine, Cheb Jalal, feu Jalal Amarni, feu Cheikh Mohamed Zerrouki, feu Cheikh Boutldja Belkacem ainsi que le regretté chercheur et universitaire Hadj Miliani.

Révolution(s) !

En 2024, évoquer le Raï « actuel » peut paraitre une faute de gout quasi-impardonnable pour les puristes, tant il contient autant de grossièreté que des paroles insipides, aux antipodes du Raï originel. La jeune génération, est effectivement à mille lieux d’imaginer ou simplement de concevoir ce que représentait ce genre musical, dans l’Algérie des années 1980 à 1990. Pour paraphraser feu Steve Jobs, c’était littéralement une Révolution ! Non seulement musicale, mais aussi, culturelle et sociétale.

En effet, dans une Algérie « étouffée » par ses tabous, sa haine de soi et ses contradictions, « la bombe » Raï est venue faire volet en éclat tous ces verrous que la société de jadis, s’était imposée à elle-même. Une tempête, un ouragan sorti du fin fond de « l’Algérie profonde », mais authentique, a tout balayé sur son passage.

Ainsi, évoquer ses peines, ses déboires, ses amours et ses désirs, en rimes et en rythmes n’était plus un «crime ». La Rai était plus qu’un genre musical. Il était un hymne, une ode à la vie et aux libertés, non pas des libertés débridées comme le véhicule le rai actuel, mais des libertés simples et surtout humaines. Et l’Algérie de la fin des années 1980 avait soif de libertés et les événements post 1988 en attestent.

Un outil de résistance contre l’obscurantisme

Vinrent ensuite les années 1990 et leurs lots de tragédies. Là encore, le Raï et ses « stars » étaient aux avant-postes. Ainsi et dans une Algérie meurtrie, déchirée et déchiquetée par une guerre civile imposée par les intégristes, les chebs « fleurissaient » de toutes parts, afin de signifier à ceux qui voulaient « kabouliser » l’Algérie que ce pays n’abdiquera pas ! Tout comme les soldats aux maquis, les chanteurs et chanteuses du Raï, menaient à leur façon leur « guerre » contre l’obscurantisme de ceux qui avaient décrété le chant et tout le reste, « h’ram ».

En effet, pour ces sanguinaires venus de cieux obscures, le simple fait d’entendre parler de sentiments, de joies de bonheur et de libertés humaines, étaient des coups assassins. D’aucuns se remémorent une cheba Zahaounia monter sur scène en… pantalon et crinière au vent en enflammant son public avec des paroles sans équivoques. Un pied de nez monumental infligé de ceux qui voulaient faire de la femme algérienne une ombre obscure.

Aussi, les grands noms de la chanson Raï de l’époque, tels que Cheb Mami, Khaled, le duo Fadila et Sahraoui, Haouri Benchenat, pour ne citer que ceux-là, grâce à leurs concerts organisés en France en premier lieu et à travers la planète ensuite, étaient littéralement des ambassadeurs de la République.

La « Dream Team » du Rai. De gauche à droite: Mami, Khaled, Cheb Hamid et Sahraoui

En effet, aux yeux de l’Occident, l’Algérie était devenue une « annexe » des régimes des Mollahs et des Talibans. Le Raï et ses stars internationales, avaient grâce à leurs performances et messages, balayé d’un revers de la main cette appréhension. C’est dire que le Raï, après avoir été à l’origine d’une Révolution multidimensionnelle, c’est transformé en un outil de résistance pour que l’Algérie reste debout à travers sa culture et ses valeurs. 

Le chant du « petit peuple »

Mais avant de connaitre la grandeur d’antan et la décadence actuelle, le Raï était le chant du « petit peuple ». Il n’avait pas vocation ni prétention d’arriver au Panthéon de la musique contemporaine et planétaire.

Le Raï a en effet, émergé dans les milieux bédouins des régions rurales de l’Ouest algérien, en particulier à Sidi-bel-Abbés, Relizane, Tiaret, Mascara et Mostaganem. Le Raï traditionnel a émergé avec une identité musicale distincte, caractérisée par son style de chant unique, ses mélodies envoûtantes et ses paroles souvent inspirées du Melhoun. Dès ses débuts, plusieurs figures emblématiques se sont illustrées, notamment Cheikha Remitti, de son vrai nom Sadia Bedief, originaire de la wilaya de Sidi-Bel-Abbés, qui est largement reconnue comme une pionnière de cet art.

Des cabarets de Sidi Bel Abbès… à la finale du Super Bowl !

Après l’indépendance, il a progressivement migré vers les zones urbaines, notamment à Oran, où il a prospéré grâce au talent de nombreux chanteurs. Cette transition a été cruciale pour son expansion en tant qu’art mondial, propulsant le Raï sur la scène internationale et lui permettant de toucher un public plus large.

À Oran, Sidi Bel Abbés et Ain Timouchent, grâce à des figures telles que Cheb Khaled et Chaba Zahouania, Mami et au fil du temps, le Raï a gagné en popularité, initialement au niveau local lors des célébrations traditionnelles et des rassemblements familiaux, puis au niveau international.

Il a évolué de performances intimistes dans des espaces clos à des représentations lors d’événements culturels d’envergure et de festivals internationaux bénéficiant notamment de la création d’un festival dédié dès 1985. Cette initiative a contribué à propager la musique Raï à travers le monde, jusqu’à arriver aux USA, lors de la finale du Super Bowl en 2001, devant 130 millions de téléspectateurs, renforçant ainsi, son statut en tant qu’art majeur.

Une évolution nécessaire  

Durant cette période, le Raï a subi une modernisation significative, principalement grâce aux contributions des frères Rachid et Baba Ahmed ainsi que de Messaoud Bellemou. Cette transformation a été marquée par l’introduction d’influences musicales occidentales, élargissant ainsi son horizon artistique. Les thèmes abordés dans les chansons sont principalement axés sur les questions sentimentales et les préoccupations de la vie quotidienne. 

Le Raï est passé ensuite d’une forme de musique folklorique à un genre qui intègre des influences variées, notamment le rock, le funk, le reggae et même le rap. Cette fusion a contribué à élargir son audience et à le rendre plus pertinent pour les jeunes générations, tout en conservant ses racines et son authenticité.

Cette évolution a également permis au Raï de devenir un symbole de la culture algérienne et de susciter un intérêt mondial pour sa richesse et sa diversité. Il reste un puissant moyen d’expression artistique qui continue de captiver les auditeurs tant en Algérie qu’ailleurs dans le monde, grâce à sa capacité à se réinventer tout en restant fidèle à ses origines.

Un patrimoine à sauvegarder

L’Algérie compte plusieurs chercheurs dans ce genre musical, à l’instar d’Abdelkader Bendamèche, Abdelhamid Bourayou et du défunt Hadj Meliani, en sus de plusieurs chercheurs anthropologues qui ont consacré tant de recherches et de publications dédiées à la vulgarisation de cet art, dans l’objectif de préserver sa mémoire, comme patrimoine algérien.

Pour rappel, en avril 2023  le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, a reçu  le certificat d’inscription du « Raï, chant populaire d’Algérie » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité établie par l’UNESCO, des mains de l’ambassadeur, Coordonnateur résident du Système des Nations Unies en Algérie.

L’Algérie compte, 9 autres éléments inscrits sur la liste du patrimoine mondial, à savoir Ahellil du Gourara, le costume nuptial de Tlemcen (Chedda), la célébration du Mawlid Ennabaoui (S’boue) à Timimoun, Rakb Ouled Sidi Cheikh, la cérémonie de la Sebeïba, , « imzad », « couscous » , la gravure sur métaux (or, argent et cuivre).

M.H.

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