L’ex-Agence nationale de soutien et de l’emploi de jeunes (ANSEJ), après avoir échoué dans sa mission première, consistant à créer des richesses à travers l’aide des jeunes à monter leur propre « boîte », se retrouve actuellement décriée et pointée du doigt par les pouvoirs publics, à leur tête le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier et lors d’un Conseil des ministres, a ouvertement accusé cette agence et ses ex-dirigeants de corruption.
Des ex-responsables dans le viseur de la justice
« Les dossiers de litiges et de corruption découlant des précédentes politiques de la Issaba (mafia, ndlr) dans le cadre de l’ANSEJ, doivent être traités à un autre niveau de compétence », a indiqué Abdelmadjid Tebboune, ouvrant ainsi la voie à de probables poursuites judiciaires à l’encontre de anciens responsables de l’Ansej. Pour le chef de l’Etat, la mise en place d’une commission qui va se charger de cette ancienne agence, créée sous le régime de Liamine Zeroual et maintenue du temps du président défunt, Abdelaziz Bouteflika, permettra de régler de manière définitive ses dossiers épineux. Cet ex-organisme d’aide à l’autopromotion, a il est vrai, bénéficié de crédits à rallonge, dans le cadre des financements de micro entreprise. Ces dernières, ont pour la plupart fini par mettre la clef sous le paillasson, et générer non pas des richesses, mais des chômeurs endettés jusqu’au cou. L’opinion publique nationale ne retient des revendications des promoteurs Ansej, Cnac et Angem que la demande d’effacement « intégral et sans conditions » des dettes contractés auprès des banques, ainsi que des différents organismes d’aide à l’emploi. D’ailleurs, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, sous l’ancien régime, Mourad Zmerli, en l’occurrence, avait affirmé que cette doléance était « inenvisageable », car selon lui, elle va à l’encontre de la politique de l’État, visant à promouvoir la culture de l’entreprenariat.
Les enchères de la discorde
Cependant et dans les faits, ces promoteurs qui se disent victimes de cette même politique, arguent le fait qu’ils sont désormais « otages » de leurs débiteurs. À Bouira et selon les estimations du Collectif d’aide aux micros entreprises (Came), ils sont plus de 20 000 promoteurs a avoir fait le « pari perdant » selon eux, d’avoir cru en la bonne foi des pouvoirs publics. Certains d’entre eux, affirment aujourd’hui, qu’ils ont été dupés et qu’après avoir été de simples chômeurs, ils se retrouvent actuellement au stade de chômeurs endettés et harcelés par les créanciers. Certains, ont bien voulu faire part de leurs mésaventures, afin que celles-ci « servent de leçons » à d’autres jeunes qui rêvent de se lancer dans la périlleuse aventure de l’entreprenariat. Rabah. H, est un jeune père de deux petits-enfants, originaire de la ville de Tizi-Ouzou (70 kilomètres à l’Est d’Alger). Il vit d’un travail manuel quotidien et quelques activités commerciales informelles. Pour lui, le « cauchemar » Ansej, a débuté en 2011, lorsqu’il a contracté un prêt pour l’acquisition d’un camion frigorifique. Depuis, ce jeune se débat dans un cercle infernal depuis qu’il a répondu favorablement à sa banque, la Banque agricole et développement rural (BADR). Il bénéficie d’une aide de 2.400.000 DA. Entre 2012 et 2019, il débourse au total plus de 900.000 DA, dont un dernier versement de 300.000 DA exclusivement réservé aux pénalités de retard. « Comment veut-on que je rembourse du moment que mon camion est à l’arrêt faute de travail ? », s’est-il interrogé. Selon lui, camion est devenu un fardeau budgétaire et il est dans l’incapacité de continuer à travailler pour les intérêts et les pénalités de la banque. « Acculé, j’ai décidé de remettre le véhicule à l’huissier chargé d’exécuter la décision. Prétextant l’application de la loi et le code des enchères le camion est bradé pour 1.400.000 DA (seconde vente, ndlr) quand un deux roues coute plus de 3.000.000 DA », a-t-il raconté. Aujourd’hui, il est dans l’obligation de vendre ce camion pour rembourser ses dettes. « Comment accepter de vendre un camion neuf, qui coute à sa sortie d’usine plus de 3.200.000 DA », a-t-il raconté, tout en accusant l’huissier en charge de la vente de l’avoir dupé. « Ce huissier m’a trahi, il m’avait juré de défendre mes intérêts, il a cédé mon bien quasi gratuitement et me laisse une dette de 1.470.000 DA envers la banque. Voilà une belle façon de récompenser ceux qui se soumettent à la loi », s’est-il plaint. Le jeune Rabah, s’engage à restituer la totalité de l’emprunt net demande aux autorités d’annuler l’ordonnance de saisie « surtout que je suis l’un des rares cas qui a respecté la réglementation », a-t-il souligné. Le directeur de la succursale Badr de Tizi-Ouzou, exige conformément à la réglementation « le paiement de la totalité de la dette » tout en compatissant avec le jeune qu’il estime victime de sa naïveté. Rabah est loin d’être un cas isolé, dans des enchères où souvent les dés sont pipés.
« J’ai même pensé au suicide pour en finir… »
D’autres jeunes, ont également accepté de témoigner de leur calvaire. Ainsi, pour Mourad Moussaoui, un jeune entrepreneur de la région de Chlef (150 kilomètres au sud-ouest de la capitale), ayant contracté un crédit bancaire auprès de la Badr, pour réaliser un élevage de poulets en 2014, les autorités concernées, lui ont déjà deux mises en demeure et le menace de lui saisir son matériel. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvé endetté de plus de 4 millions de dinars, alors que je n’ai même pas entamé mon activité », s’est-il lamenté. « Je suis harcelé nuit et jour et j’ai même pensé au suicide pour en finir avec ce cercle vicieux (…) Je ne dors plus, je ne vis plus. La banque et les huissiers ont pris ma vie », dit-il au bord des larmes. Pour son acolyte Athman Djaadi, un transporteur de marchandise, ayant contracté un crédit de 6 millions de dinars, pour l’achat d’un véhicule utilitaire de type Renault Master, l’activité est au point mort, et par conséquent, il ne peut honorer ses échéances de paiement. « On veut que ce cauchemar se termine au plus vite. On a fait confiance à l’Etat et nous avions eu tort. Désormais, on veut une solution définitive, car on est dans l’impasse », expliquera M. Djaadi. Selon M. Hamichi Djaafar, coordinateur du Came de Bouira, la situation actuelle est « intenable ». « Jusqu’à présent, les pouvoirs publics ne veulent pas nous reconnaître le statut de victimes, car nous le sommes réellement », soutiendra M. Hamichi, avant de poursuivre en expliquant « Nous sommes victimes d’un projet mal élaboré, concocté uniquement pour acheter la paix sociale durant une période déterminée. Désormais, nous sommes confrontés à la réalité et on s’est rendu compte, qu’on a été berné depuis le départ », a-t-il en outre affirmé. Il y’a lieu de souligner que ni les responsables des banques, ni ceux des différents organismes de l’emploi, n’ont souhaité répondre à nos multiples sollicitations.
R.B