L’Algérie vient d’abriter un évènement énergétique majeur, lequel a pu concilier deux thèmes diamétralement opposés sur le papier : Hydrocarbures et écologie. Ces deux mots, dans une seule et même phrase, peuvent donner lieu à première vue à un flagrant et grossier oxymore et pourtant…
À Oran, une conférence internationale a réuni scientifiques, industriels et décideurs pour débattre des technologies vertes dans le secteur pétrolier et gazier. Hydrogène, bioénergies, décarbonation : l’heure est à l’action et à l’innovation.
Ainsi et face aux défis du changement climatique et à la nécessité de diversifier ses sources d’énergie, l’Algérie amorce un virage stratégique vers des solutions plus durables.
Poser les bases d’une transition énergétique viable
En effet, à travers cette conférence et ses multiples intervenants, une question se pose d’elle même et s’impose telle une évidence : Et si l’avenir énergétique de l’Algérie s’écrivait désormais en vert ?
C’est en tout cas l’ambition affichée par les participants à la conférence internationale sur les solutions vertes dans le secteur pétrolier et gazier, qui s’est tenue les 14 et 15 mai au Centre de Convention d’Oran. Organisée par Sonatrach/DC-R&D, en collaboration avec la Direction Générale de la Recherche Scientifique et du Développement Technologique (DGRSDT), la rencontre a réuni plus de 200 chercheurs, ingénieurs, chefs d’entreprise et responsables politiques autour d’un objectif commun : poser les bases d’une transition énergétique algérienne plus durable, plus résiliente, et plus alignée sur les standards internationaux.
Un secteur stratégique face à ses responsabilités
Longtemps adossée à un modèle fondé sur l’exploitation intensive des hydrocarbures, l’économie algérienne est aujourd’hui confrontée à une double nécessité : répondre à la crise climatique tout en préservant sa souveraineté énergétique. Dans ce contexte, la conférence d’Oran s’est imposée comme un espace de réflexion incontournable.
Pendant deux jours, les débats ont mis en lumière un constat partagé : les solutions existent, mais elles doivent être pensées localement, adaptées aux réalités du terrain, et soutenues par des politiques ambitieuses. Technologies propres, économies circulaires, innovation ouverte, autant de leviers désormais à la portée de l’Algérie, à condition d’investir dans la recherche et de construire des ponts solides entre le monde académique et le tissu industriel.
Hydrogène vert : Entre promesses et écueils
Les séances plénières ont été ponctuées d’interventions remarquables, illustrant la vigueur et la pertinence croissante de la recherche appliquée dans le domaine des transitions énergétique et industrielle. Ces présentations de haut niveau ont su capter l’attention du public par leur qualité scientifique et par la portée concrète de leurs propositions.
Parmi les moments forts, l’intervention de Mohamed Ghazli sur l’application des principes de l’ingénierie des systèmes pour réduire les risques liés au développement des projets Power-to-X, illustrée par une étude de cas sur l’intégration des réseaux intelligents à la production d’hydrogène vert.
Bien que le portefeuille de projets hydrogène soit en expansion, la majorité n’a pas encore atteint la décision finale d’investissement (DFI), freinée par l’absence de régulation claire et de visibilité sur la demande.
Pour combler ce retard, un modèle d’exécution par phases est nécessaire, structurant le projet en étapes clés afin d’évaluer les risques, les coûts et les ressources à mobiliser. L’ingénierie des systèmes, historiquement développée dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense, s’impose aujourd’hui dans les projets énergétiques pour gérer la complexité croissante liée aux données, à l’interconnexion et aux contraintes multiples.
Elle vise à garantir la cohérence des éléments techniques tout en répondant aux attentes parfois contradictoires des parties prenantes. Grâce à des outils numériques avancés, elle permet d’optimiser la conception et la mise en œuvre de systèmes complexes. L’étude de cas démontre comment l’intégration de réseaux intelligents avec la production d’hydrogène vert permet d’améliorer la gestion énergétique et de contribuer à la transition vers une énergie plus durable.
Quand Dame nature se substitue à la chimie
Parmi les autres contributions notables, on retiendra également l’étude approfondie de Rami Khalid Suleiman, laquelle s’est distinguée par son originalité et son ancrage écologique. Ses travaux portent sur l’utilisation d’extraits végétaux comme inhibiteurs de corrosion, en remplacement des produits chimiques conventionnels.
Cette approche innovante, à la croisée de la chimie verte et de l’ingénierie des matériaux, ouvre la voie à des traitements plus respectueux de l’environnement industriel, tout en maintenant des performances techniques élevées. Elle témoigne d’un changement de paradigme vers des solutions durables, basées sur les ressources naturelles.
Des découvertes scientifiques qui changent la donne
Mohammad Mizanur Rahman, de son côté, s’est intéressé aux matériaux en polyuréthane pour le stockage de l’hydrogène. Ce matériau, aux propriétés adaptables, offre un potentiel important pour sécuriser et optimiser le stockage de ce vecteur énergétique. Dans un contexte où l’hydrogène vert est appelé à jouer un rôle central dans les stratégies de décarbonation à grande échelle, ses recherches apportent une réponse concrète aux défis technologiques posés par l’autonomie, la sécurité et la densité énergétique.
Mohammed Wadi, a quant à lui attiré l’attention sur le rôle stratégique des réseaux intelligents (smart grids) dans l’intégration des énergies renouvelables. Son analyse met en lumière la nécessité d’un système électrique plus flexible, capable de s’adapter aux fluctuations de la production décentralisée, tout en garantissant fiabilité et stabilité. Ce type d’infrastructure constitue une condition sine qua non pour accompagner la transition énergétique et réduire l’empreinte carbone du secteur électrique.
Dessalement d’eau de mer : Le délicat équilibre
Enfin, Yassine Djebbar a présenté une analyse critique des impacts du dessalement sur les ressources hydriques en Algérie. Dans un pays confronté à un stress hydrique croissant, son travail met en évidence les arbitrages complexes entre besoins en eau, consommation énergétique et préservation des écosystèmes. Il propose des pistes d’optimisation pour une gestion plus intégrée et durable de cette technologie de plus en plus sollicitée.
Ces interventions témoignent de la diversité des approches, de la rigueur des analyses et de la volonté partagée d’apporter des réponses scientifiques aux grands défis contemporains. Elles illustrent aussi la montée en puissance de la recherche appliquée comme levier de transformation vers un avenir plus durable.
Outre les présentations scientifiques, deux grandes tables rondes ont rythmé la conférence. Modérées par l’expert senior en énergie M. Choeib Boutamine, elles ont permis de faire dialoguer chercheurs, industriels et représentants de l’enseignement supérieur sur des thèmes au cœur de l’actualité.
Hydrogène et transition énergétique stimulent les débats
La première table ronde, intitulée « Libérer le potentiel de l’hydrogène en Algérie », a suscité un vif intérêt en mettant en lumière le rôle central que peuvent jouer les universités dans l’émergence d’une filière hydrogène nationale. Les intervenants ont souligné la nécessité d’adosser les projets pilotes à des bases scientifiques solides, en mobilisant les compétences académiques et la recherche appliquée.
Cette démarche suppose une étroite collaboration entre les établissements universitaires, les collectivités territoriales et les acteurs économiques, afin de créer un écosystème favorable à l’innovation et à l’industrialisation progressive des solutions.
Souvent désigné comme « l’or vert » de demain, l’hydrogène se profile comme un vecteur énergétique stratégique pour accompagner la transition vers un modèle bas carbone. Pour l’Algérie, dotée d’un fort potentiel en énergies renouvelables (notamment solaire), le développement d’une chaîne de valeur autour de l’hydrogène vert représente une opportunité majeure. Toutefois, cette ambition ne pourra se concrétiser qu’à travers la mise en place d’une filière cohérente, structurée et soutenue par des politiques publiques incitatives, des investissements ciblés, et une vision de long terme.
La seconde table ronde, intitulée « La transition énergétique et l’industrie verte », s’est attachée à décrypter les nouveaux modèles économiques susceptibles de concilier compétitivité industrielle et sobriété carbone.
Dans un contexte mondial où la réglementation environnementale devient de plus en plus contraignante, les entreprises doivent repenser leurs processus, leurs chaînes d’approvisionnement et leurs sources d’énergie pour répondre aux nouvelles exigences du marché et des politiques climatiques.


Les échanges ont mis en évidence la complexité de l’exercice : il s’agit d’opérer une transformation profonde sans compromettre la viabilité économique des secteurs productifs. Cela implique d’innover à tous les niveaux – technologie, gouvernance, financement – tout en intégrant des objectifs de performance environnementale. Les participants ont insisté sur l’importance d’un cadre réglementaire clair, de mécanismes de soutien à l’innovation, et d’un accompagnement adapté.
Le défi est de taille, mais les perspectives sont encourageantes : une industrie verte, compétitive et résiliente est possible, à condition de penser la transition non comme une contrainte, mais comme une opportunité de modernisation et de différenciation sur les marchés internationaux.
Un état des lieux des avancées en R&D pour un secteur plus vert
En tout, 185 communications scientifiques ont été soumises, dont 91 présentations orales et 94 posters. Quatre grands axes thématiques ont émergé :
- Des inhibiteurs de corrosion écologiques, alliant efficacité technique et respect de l’environnement ;
- La décarbonation, avec des recherches sur le captage du CO₂, l’électrification des procédés industriels et l’amélioration de l’efficience énergétique ;
- Les biocarburants et la biomasse, en réponse à la nécessité de diversifier les sources d’énergie
- La gestion de l’eau dans l’extraction assistée du pétrole (EOR), visant une approche circulaire et moins gaspilleuse des ressources.
Cet effort de structuration scientifique témoigne d’une volonté claire : faire de la R&D un moteur de la transition énergétique nationale.
Et maintenant ?
Au vu de la qualité des échanges et de la forte mobilisation, les participants ont proposé de faire de cette conférence un rendez-vous biennal. L’objectif ? L’inscrire dans les priorités nationales, mieux intégrer les grandes tendances internationales (comme l’économie circulaire ou l’hydrogène vert), et renforcer les liens entre chercheurs, décideurs et industriels.
À travers cette rencontre, l’Algérie affiche clairement ses ambitions : se positionner comme un acteur sérieux de la transition énergétique, tout en valorisant ses compétences internes. Car la véritable richesse du pays, ce sont peut-être moins ses réserves souterraines que les talents de ses ingénieurs, chercheurs et innovateurs.