Malgré un dynamique économique hors hydrocarbures en 2024, l’Algérie fait face à des déséquilibres financiers croissants, au point d’alerter la Banque mondiale sur les risques d’un ralentissement de la croissance et d’un creusement des déficits si des réformes structurelles profondes ne sont pas engagées rapidement.
Ainsi, dans son rapport publié début juin 2025, la Banque mondiale dresse un état des lieux nuancé de l’économie algérienne Intitulé « Accélérer les gains de productivité pour une croissance résiliente et diversifiée », le document salue la solidité de la croissance hors hydrocarbures (+4,8 % en 2024), mais pointe des fragilités sous-jacentes inquiétantes.
Une croissance solide… masquant des déséquilibres
Ce rebond de l’économie non pétrolière repose sur le dynamisme de l’investissement public et la vigueur de la consommation des ménages. Le secteur agricole, en particulier, a surpris positivement, et ce malgré des conditions climatiques peu favorables. Toutefois, cette embellie a été contrecarrée par une augmentation significative des importations et une baisse des exportations d’hydrocarbures, entraînant le premier déficit courant depuis trois ans.
En effet, la balance courante affiche un déficit de 1,7 % du PIB pour 2024, contrastant avec les excédents enregistrés les deux années précédentes. Cette situation résulte d’un recul des exportations de 10,2 %, combiné à une hausse des importations de 9,7 %. Les réserves de change s’en trouvent amoindries, tombant à 63,6 milliards de dollars – l’équivalent de 13,6 mois d’importations. Un niveau encore jugé rassurant à court terme, mais potentiellement vulnérable si la tendance n’est pas inversée.
Vers un ralentissement confirmé en 2025
Selon les prévisions du rapport, la croissance globale devrait ralentir à 3,3 % en 2025. Même si le secteur des hydrocarbures devrait légèrement se redresser (+1,6 %), porté par une hausse des quotas OPEP et une amélioration de la production gazière, la croissance hors hydrocarbures devrait décélérer à 3,6 %. En cause : la probable réduction des investissements publics, qui freinerait la dynamique des secteurs non énergétiques et accentuerait la dépendance structurelle de l’économie aux recettes pétrolières.
Un déficit budgétaire alarmant
La situation des finances publiques suscite une inquiétude croissante. Le déficit budgétaire a atteint 13,9 % du PIB en 2024 – un record depuis 2015 – et pourrait s’aggraver à 14,5 % en 2025.
Ce creusement est alimenté par une chute des recettes issues des hydrocarbures (-31,1 %) et une hausse des dépenses courantes, notamment les salaires et les transferts sociaux. Or, en l’absence de sources de financement alternatives, l’État s’appuie encore largement sur le Fonds de régulation des recettes, dont les ressources sont désormais presque épuisées. De quoi faire peser des risques sérieux sur la soutenabilité de la dette publique et la liquidité bancaire.
Baisse de l’inflation : conjoncturelle ou structurelle ?
Un des rares points positifs du rapport concerne le ralentissement de l’inflation, qui est passée de 9,3 % en 2023 à 4,0 % en 2024. Cette évolution favorable est attribuée à une amélioration de l’offre agricole, une certaine stabilité des prix alimentaires et une politique monétaire accommodante, avec un taux directeur maintenu à 3 %. Si cette baisse profite au pouvoir d’achat des ménages, notamment les plus vulnérables, elle ne traduit pas pour autant un changement structurel de l’économie, selon les auteurs du rapport.
Une économie dominée par le secteur public
Le rapport critique ouvertement les limites du modèle de développement basé sur la dépense publique, jugé incapable de générer des emplois de qualité ou de relancer la productivité. Le marché du travail reste dominé par des secteurs peu productifs comme le BTP et les services non marchands.
La productivité globale demeure déséquilibrée, concentrée dans l’agriculture et la construction, tandis que les secteurs à forte valeur ajoutée – comme l’industrie manufacturière et les services innovants – restent sous-développés. Fait notable : les entreprises publiques, notamment industrielles, affichent des niveaux de productivité inférieurs à ceux du secteur privé, renforçant les appels à une restructuration, voire une privatisation partielle, de ces entités.
Réformes urgentes pour un avenir durable
Face à ce constat, la Banque mondiale plaide pour un tournant stratégique : accélérer les réformes institutionnelles, renforcer l’attractivité du climat des affaires, moderniser le marché du travail et élaborer une stratégie nationale des compétences, adaptée aux besoins de l’économie de demain – notamment dans les secteurs technologiques, la finance et l’industrie intelligente.
Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’une meilleure efficacité de la dépense publique, via des évaluations régulières et une priorisation claire des investissements. Il recommande par ailleurs un élargissement progressif et équitable de la base fiscale, afin de réduire la dépendance aux revenus pétroliers sans compromettre la justice sociale.