« Si les abeilles venaient à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre ». Cette citation de feu Hubert Reeves, l’un des plus brillants astrophysicien du siècle dernier est sans équivoque sur le rôle vital de cet insecte pour l’espèce humaine.
Ainsi, en soutenant la diversité des écosystèmes, les abeilles contribuent à la résilience et à la stabilité des habitats naturels partout dans le monde. Leur rôle crucial dans la pollinisation des plantes favorise la reproduction de nombreuses espèces végétales et assure une abondance de fruits et légumes essentiels à notre alimentation mondiale, rendant notre planète plus florissante et vibrante.
En Algérie, avec l’avènement des techniques de fécondation dirigée et l’introduction de races étrangères, un équilibre délicat doit être maintenu entre les améliorations génétiques et la conservation des spécimens indigènes.
En effet l’introduction de races étrangères peut entraîner une pollution génétique et des mélanges indésirables avec les populations locales, réduisant ainsi la pureté génétique des races indigènes. Cela peut affecter leur adaptation aux conditions locales et réduire leur résilience face aux maladies et aux parasites. La préservation des races d’abeilles autochtones est une priorité essentielle pour la biodiversité et la durabilité de l’apiculture en Algérie.
Pour explorer ces enjeux, nous avons interviewé le Pr. Tabet Aoul Nacera, enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie (SNV), de l’Université Oran 1, chef d’équipe des ressources animales, du laboratoire de génétique moléculaire et cellulaire LGMC, à l’université des sciences et de la technologie d’Oran USTO-Mohamed Boudiaf.
Dans cet entretien, elle nous éclaire sur les avantages et les risques liés à ces pratiques, ainsi que sur le rôle crucial des institutions académiques dans la protection des abeilles locales.
Propos recueillis par Mounia Hammoud
- JUST-INFODZ : Quels sont les risques associés à l’introduction de races étrangères d’abeilles en Algérie, en particulier les reines et les faux bourdons ?
Pr. Tabet Aoul Nacera : L’introduction de races étrangères d’abeilles en Algérie, par l’importation des reines comme la « ligustica » de l’Italie, a été observée chez certains apiculteurs qui voulaient avoir un gain rapide de leur production de la ruche. Ce qui va donner la pollution génétique des abeilles puisque le fond génétique ne sera plus le même ou ne représentera plus exactement nos espèces.
Une évaluation rigoureuse des avantages et des risques, ainsi que la mise en place de mesures de gestion appropriées sont essentielles
Pr. Tabet Aoul Nacera, enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie (SNV), de l’Université Oran 1
D’autres risques incluent les impacts écologiques négatifs, les défis pour la gestion apicole locale et les risques économiques. Une évaluation rigoureuse des avantages et des risques, ainsi que la mise en place de mesures de gestion appropriées, sont essentielles pour minimiser ces risques et assurer la préservation des abeilles locales et des écosystèmes.
Des stratégies telles que des programmes de sélection et de conservation génétique locale, des quarantaines strictes, et des suivis environnementaux peuvent aider à atténuer ces risques.
- Quels sont les avantages de la fécondation dirigée dans l’amélioration des caractéristiques des races d’abeilles ?
La fécondation dirigée, ou insémination artificielle, est une technique utilisée pour contrôler la reproduction des abeilles et améliorer les caractéristiques des races. Les principaux avantages de cette méthode dans l’amélioration des caractéristiques des races d’abeilles, sont : Le contrôle Génétique Précis : La fécondation dirigée permet de choisir spécifiquement les reines et les mâles (drones) à inséminer, assurant ainsi que les caractéristiques désirées sont transmises à la descendance.
L’amélioration rapide des phénotypes : En contrôlant la reproduction, les apiculteurs peuvent obtenir des améliorations significatives des caractéristiques désirées en quelques générations seulement. Cela permet d’accélérer le processus de sélection par rapport à la reproduction naturelle.
La fécondation dirigée permet de choisir spécifiquement les reines et les mâles (drones) à inséminer, assurant ainsi que les caractéristiques désirées sont transmises à la descendance.
Pr. Tabet Aoul Nacera, enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie (SNV), de l’Université Oran 1
La préservation de la diversité génétique : La fécondation dirigée permet de maintenir et de gérer de manière optimale la diversité génétique au sein des colonies d’abeilles. Les apiculteurs peuvent éviter la consanguinité et introduire de nouveaux traits bénéfiques tout en préservant la variabilité génétique nécessaire à la santé et à la résilience des populations d’abeilles.
L’optimisation de la production de miel et de pollinisation : en sélectionnant des abeilles pour des traits tels que la productivité et l’efficacité de la pollinisation, les apiculteurs peuvent maximiser la production de miel.
- Comment la fécondation dirigée peut-elle contribuer à l’augmentation de la productivité en Algérie ?
La fécondation dirigée est une technique permettant significativement d’améliorer la productivité et la qualité des abeilles en Algérie. En permettant un contrôle précis sur les traits génétiques, elle facilite la sélection de colonies plus productives, résistantes aux maladies, adaptées aux conditions locales et ayant un comportement favorable. Ces améliorations contribuent non seulement à l’efficacité économique des apiculteurs, mais aussi à la santé globale des écosystèmes agricoles et naturels en Algérie.
- Quelles initiatives ou programmes l’USTO a-t-elle mis en place pour protéger et préserver la génétique des abeilles locales ?
Mon équipe travaille avec les apiculteurs professionnels de Blida et de Médéa dans le cadre du projet national de recherche 2021, intitulé « Contribution à la réalisation d’un programme de préservation et de sélection des écotypes de populations d’abeilles locales pour augmenter sa productivité ».
Depuis 2017, nous collaborons avec une équipe française de l’INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement de Toulouse, dirigée par Dr. Tabet Canale Kamila, qui travaille sur la génétique des abeilles.
Pr. Tabet Aoul Nacera, enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie (SNV), de l’Université Oran 1
Ce projet s’inscrit dans le domaine de la sécurité alimentaire et vise l’amélioration génétique et la sélection des ressources génétiques animales locales. Je suis la coordinatrice principale du projet à l’université USTO-MB.
- Comment l’USTO collabore-t-elle avec d’autres institutions pour assurer la conservation des races locales d’abeilles en Algérie ?
Depuis 2017, nous collaborons avec une équipe française de l’INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement de Toulouse, dirigée par Dr. Tabet Canale Kamila, qui travaille sur la génétique des abeilles. Deux thèses ont été réalisées, dont une soutenue. La conclusion de ce travail sur nos abeilles algériennes montre un mélange entre les deux sous-populations. Il y a de la transgression de l’abeille importée mais très peu.« Il est impératif de sonner l’alarme afin de sensibiliser nos amis apiculteurs à la sauvegarde des populations d’abeilles locales en Algérie », a conclut notre interlocutrice.
En somme, il est essentiel de sensibiliser les apiculteurs et de mettre en place des stratégies de gestion appropriées pour assurer la survie et la prospérité des abeilles locales. Les initiatives de l’Université des Sciences et de la Technologie d’Oran, en collaboration avec des institutions internationales, jouent un rôle crucial dans la préservation des abeilles autochtones.
M.H