La chute de Bachar al-Assad et son départ, ou plutôt sa fuite vers la Russie et la prise de la Syrie par les combattants de Hayaat Tahrir Al-Cham (HTC) et leur chef controversé Abou Mohammed al-Joulani, a déjà rebattu les cartes de la géopolitique au Proche et Moyen-Orient.
Ainsi, d’une part, l’entité sioniste depuis la chute du régime de Bachar al Assad ne cesse d’intensifier ses frappes contre des « installations stratégiques » dans le Sud de la Syrie, tout en menaçant de « sévir » contre les nouveaux maîtres de Damas. De l’autre, la Russie de Vladimir Poutine et les États-Unis du désinvolte Donald Trump, songent déjà à étendre leur zone d’influence dans la région.
Dans cet entretien accordé à JUST-INFODZ, Barah Mikail, professeur associé de sciences politiques et de relations internationales à l’Université Saint-Louis – Campus de Madrid, où il est directeur du Master en sciences politiques et affaires publiques, apporte de précieux éclairages sur la redéfinition de l’échiquier géopolitique dans la région.
De plus, Barah Mikail, qui également directeur de l’Observatoire des crises contemporaines et dirige le podcast World Pulse, fait une analyse pointue de la situation actuelle et ses répercussions à court et moyen terme.
Entretien réalisé par Ramdane Bourahla
- JUST-INFODZ : La chute de Bachar al-Assad a ouvert un nouveau « front d’agression » pour Israël. Que pensez-vous ?
Barah Mikail: Israël dépasse de fait tout cadre légal. En plus de l’annexion illégale du Golan décidée en 1981, sa violation actuelle de l’accord de désengagement qui le liait à la Syrie depuis 1974, combinée à l’occupation de portions supplémentaires du territoire syrien et à la destruction d’une grande partie des capacités militaires syriennes, illustre une série d’actions et d’abus contraires au droit international. Il s’agit non seulement d’une agression de fait, mais également d’une politique hégémonique. Cela remet en question l’idée qu’Israël respecte la souveraineté de ses voisins. En réalité, il s’agit d’une domination de l’espace stratégique régional, imposée selon des conditions unilatérales dictées par Israël.
La marge de manœuvre qu’Israël s’attribuera pourrait devenir plus claire avec l’arrivée effective de Donald Trump à la Maison Blanche.
- Pensez-vous qu’Israël ait des visées sur l’ensemble du plateau du Golan sous couvert d’étendre sa « safe zone » ?
La partie du plateau du Golan occupée par Israël en 1967 a été annexée en 1981. Pour le reste, les Israéliens avancent que leur occupation de la zone tampon actuelle répond à leur crainte de voir celle-ci devenir une menace après l’effondrement de l’armée syrienne. Cette situation rappelle celle de l’Égypte en 1956 et en 1979, lorsque l’occupation israélienne de territoires égyptiens s’était prolongée sous des prétextes sécuritaires. Il est difficile de prévoir à quel moment Israël se retirera de cette zone tampon, car l’argument sécuritaire sera constamment utilisé pour justifier l’occupation et la violation de la souveraineté syrienne. La marge de manœuvre qu’Israël s’attribuera pourrait devenir plus claire avec l’arrivée effective de Donald Trump à la Maison Blanche. Cependant, la domination des territoires syriens sur les plans stratégique et territorial est une réalité qu’Israël continuera à exploiter, notamment via des moyens de surveillance accrus.
La vraie question est de savoir si d’autres groupes, comme l’État islamique, pourraient cibler Israël d’une manière ou d’une autre.
- Abou Mohammed al-Joulani, est un ancien d’Al-Qaïda. Est-il une menace pour Israël ?
Non. Al-Joulani, outre ses critiques très modérées à l’égard des violations israéliennes, cherche avant tout à asseoir sa légitimité auprès de puissances majeures, comme les États-Unis. Il comprend certainement que sa survie politique, en partie garantie par une reconnaissance de la communauté internationale, dépend de sa capacité à rassurer cette dernière sur ses intentions vis-à-vis d’Israël. En réalité, l’agression vient d’Israël vers la Syrie, et Joulani ne répondra probablement pas par une posture belliqueuse. La vraie question est de savoir si d’autres groupes, comme l’État islamique, pourraient cibler Israël d’une manière ou d’une autre. Si tel était le cas, Israël pourrait utiliser cet argument pour justifier des actions unilatérales contre la Syrie, comme cela a souvent été observé au Liban et dans les Territoires palestiniens.
Avec la chute d’Assad, la Russie a clairement perdu en capacité stratégique régionale.
- Selon vous, la Russie va-t-elle maintenir ses bases militaires en Syrie, sachant que le Kremlin a déjà indiqué que cette question est « prématurée » ?
La Russie semble déjà avoir entamé un retrait progressif, notamment de la base aérienne de Hmeimim. On parle toutefois de son intention de maintenir un “droit d’usage” ou une présence au port maritime de Tartous. Par ailleurs, il est question d’un repositionnement stratégique à Port-Soudan pour compenser cette perte. À court et moyen termes, Moscou apparaît affaibli : bien que les Russes maintiennent une présence et une certaine influence dans la région, la Syrie ne constitue plus un atout stratégique majeur pour eux. Cependant, il ne faut pas sous-estimer leurs moyens restants, notamment comme vendeurs d’armes et par leur diplomatie active, illustrée par leurs relations avec des acteurs régionaux comme la Turquie, Israël, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. Néanmoins, avec la chute d’Assad, la Russie a clairement perdu en capacité stratégique régionale.
L’Arabie saoudite, ainsi que le Koweït, pourraient jouer un rôle moteur dans cette démarche(normalisation avec Israël, NDLR), et potentiellement la Syrie aussi.
- Donald Trump est resté en retrait face à la chute d’Al-Assad. Quelle sera, selon vous, l’attitude de son administration vis-à-vis des nouveaux maîtres de Damas ?
Donald Trump devra admettre que la chute d’Assad bouleverse l’équilibre stratégique régional, et il lui sera difficile de s’en isoler. La question est de savoir comment il abordera cette situation. On peut s’attendre à ce qu’il travaille à initier un nouveau processus de normalisation entre Israël et certains États arabes. L’Arabie saoudite, ainsi que le Koweït, pourraient jouer un rôle moteur dans cette démarche, et potentiellement la Syrie aussi. Toutefois, pour aller dans ce sens, Trump devra probablement avancer sur la question palestinienne. À ce stade, il est difficile de prévoir ses actions, mais il ne serait pas surprenant de voir des changements notables sous son impulsion.
L’Arabie saoudite pourrait envisager un accord permettant de bâtir des relations bilatérales favorables avec un gouvernement syrien remanié.
- Enfin, que pensez-vous des réactions prudentes et mesurées des pays arabes, notamment de l’Arabie saoudite ?
L’Arabie saoudite, à l’instar de plusieurs pays de la région, ne cache pas sa satisfaction face à la chute d’Assad. Ce renversement est perçu positivement non seulement en raison des relations tendues avec lui, mais aussi parce qu’il affaiblit l’Iran, ce qui renforce la position de Riyad dans la région. Peu de pays arabes souhaitaient voir Assad se maintenir au pouvoir, comme cela a été manifeste tout au long de la guerre en Syrie après 2011. Cela dit, Riyad reste prudente face à la possibilité d’avoir des islamistes issus de certaines branches idéologiques au pouvoir en Syrie. Cependant, les premières déclarations et orientations d’Abou Mohammed al-Joulani semblent les rassurer. L’Arabie saoudite pourrait envisager un accord permettant de bâtir des relations bilatérales favorables avec un gouvernement syrien remanié. Toutefois, il reste à voir comment cette dynamique pourrait concurrencer les ambitions du Qatar et de la Turquie en Syrie.

