La nomination de Laurent Nuñez au ministère français de l’Intérieur suscite un intérêt tout particulier à Alger. Dans un contexte où les relations entre la France et l’Algérie n’ont cessé de se tendre au fil des derniers mois, ce changement de visage au sommet de l’appareil sécuritaire français pourrait marquer un tournant.
Ainsi, si certains de ses prédécesseurs ont laissé une trace amère dans la mémoire algérienne, Laurent Nuñez incarne, à l’inverse, un profil singulier, porteur d’un récit plus apaisé, plus humain – et surtout, plus respectueux.
Un changement de ton
En effet, contrairement à Bruno Retailleau, qui n’a jamais caché sa vision rigide, voire brutale, des relations franco-algériennes, Laurent Nuñez ne fait pas de l’Algérie un bouc émissaire politique. Retailleau, à la tête de la droite sénatoriale, s’est illustré ces derniers mois par des prises de position violemment hostiles à l’encontre des immigrés algériens, multipliant les amalgames entre insécurité et origine algérienne.
Sa rhétorique, empreinte d’un nationalisme rance, a souvent réduit l’Algérie à une menace, effaçant toute complexité historique au profit d’une lecture sécuritaire et stigmatisante. Une ligne dure qui, de fait, a largement contribué à envenimer les rapports entre Paris et Alger.
L’Algérie oubliée, malgré les racines
Autre figure emblématique de cette crispation : Gérald Darmanin. Né d’un père algérien, l’ancien ministre de l’Intérieur avait pourtant suscité un bref espoir en 2020 lors de sa visite à Mostaganem, sa ville d’origine. Mais cet espoir fut de courte durée.
Car au lieu de tendre des ponts, Darmanin a très vite renié l’héritage de ses racines au profit d’un discours ultra-sécuritaire, durcissant les conditions d’accueil, accentuant les expulsions, et multipliant les propos ambigus sur les « liens dangereux » entre immigration et islamisme. Une posture paradoxale, presque schizophrénique, qui a profondément déçu de nombreux Algériens.
C’est dans ce contexte de défiance qu’émerge aujourd’hui la figure de Laurent Nuñez. Fils de Jean-Marie Nuñez, un pied-noir d’origine andalouse né à Oran et rapatrié en 1962, Laurent Nuñez grandit dans une mémoire apaisée de l’Algérie. Son père, architecte, et sa mère, institutrice, ont quitté le pays non pas dans la haine ou la nostalgie revancharde, mais avec le sentiment d’un attachement durable, d’un lien indélébile avec cette terre méditerranéenne. Chez les Nuñez, l’Algérie n’a jamais été réduite à un passé douloureux ou à une fracture coloniale, mais célébrée comme un héritage affectif, une partie intégrante de l’identité familiale.
Vers un dialogue retrouvé ?
Cette filiation singulière pourrait aujourd’hui peser dans la balance des relations bilatérales. Car en accédant à un ministère aussi stratégique que l’Intérieur, Nuñez apporte avec lui une mémoire franco-algérienne différente, éloignée des crispations habituelles. Il incarne ce que peu de responsables français ont su porter ces dernières années : une approche lucide, mais respectueuse, de l’Algérie et de ses citoyens.
À Alger, cette nomination est observée avec prudence, mais aussi avec un certain espoir. Peut-être est-ce là l’opportunité de sortir du cycle de la défiance, de dépasser les logiques de suspicion héritées d’un passé non digéré. Peut-être, enfin, qu’un dialogue sincère pourra renaître entre deux pays unis par l’Histoire, mais trop longtemps divisés par les postures politiques.
Dans un climat européen de plus en plus marqué par la tentation identitaire et la fermeture, l’arrivée de Laurent Nuñez pourrait marquer une exception. Celle d’un homme qui n’a pas oublié que les ponts sont toujours plus porteurs d’avenir que les murs.