Après deux ans d’un « bras de fer » discret mais âprement disputé, opposant Alger à Abu Dhabi, concernant la société espagnole Naturgy, les émiratis de la compagnie pétrolière “Taqa”, viennent de hisser « drapeau blanc ».
Il faut dire que le récent déplacement du PDG de la société espagnole Naturgy à Alger et sa rencontre avec son homologue de Sonatrach, avait définitivement « court-circuiter » les veines tentatives des Émirats arabes unis de prendre le contrôle de Naturgy et de facto, celui du gazoduc « Medgaz », reliant Beni Saf à l’Espagne.
Ainsi et selon le quotidien espagnole el indépendiante, qui rapporte l’information ce lundi 26 mai 2025, c’est suite à une conférence téléphonique avec des analystes que Steve Ridlington, directeur financier de Taqa, a mis fin aux spéculations : « Ce n’est pas dans nos plans actuels de réactiver ces conversations », a-t-il affirmé, écartant toute reprise des discussions autour de l’entrée dans le capital de Naturgy. Cette déclaration, relayée par Invertia, clôt un feuilleton stratégique qui avait suscité de vives inquiétudes à Alger.
Un projet mal vu à Alger
En effet, la tentative de Taqa d’acquérir les parts détenues par CVC et BlackRock dans Naturgy avait ravivé les tensions diplomatiques entre l’Algérie et les Émirats arabes unis. Les liens étroits de Taqa — et de l’émirat d’Abou Dhabi — avec le Maroc ont alimenté la méfiance d’Alger, pour qui cette opération représentait une menace stratégique.
Selon El Independiente, certains cercles algériens craignaient même des répercussions directes sur l’approvisionnement en gaz de l’Espagne si la transaction venait à aboutir.
L’Espagne veille sans bruit
Toutefois, les autorités algériennes réfutent toute implication dans la décision de retrait de Taqa. Elles rappellent que le gouvernement espagnol lui-même, soucieux de préserver la stabilité de son secteur énergétique, reste le principal acteur décisionnaire dans de telles opérations.
Francisco Reynés, président de Naturgy, s’est d’ailleurs récemment rendu à Alger pour rencontrer les dirigeants de Sonatrach, consolidant ainsi un partenariat vieux de plusieurs décennies.De son côté, Naturgy a préféré rester en retrait du débat. L’entreprise espagnole n’a émis aucun commentaire officiel, tout comme CriteriaCaixa, son principal actionnaire avec 26,7 % des parts. Les autres actionnaires – CVC, GIP et IFM – détiennent ensemble plus de 58 % du capital, dans une configuration complexe que Taqa espérait bouleverser.
Un geste jugé provocateur
Malgré ce désengagement, les soupçons demeurent. À Alger, certains observateurs perçoivent les ambitions de Taqa comme une tentative d’influencer les relations hispano-algériennes. Le passé diplomatique des Émirats arabes unis, marqué par des alliances stratégiques avec Israël et le Maroc, ainsi que par une implication dans divers conflits régionaux, nourrit cette perception d’« élément perturbateur » au Maghreb.
Des enjeux énergétiques majeurs en toile de fond
Le contexte n’est pas anodin : en février, l’Algérie représentait encore 34,9 % des importations de gaz de l’Espagne, à quasi-égalité avec les États-Unis. Les contrats historiques entre Sonatrach et Naturgy, en vigueur jusqu’en 2030, couvrent un volume annuel de 5 milliards de mètres cubes. Dans ce cadre, toute tentative extérieure de bouleverser l’équilibre actionnarial de Naturgy est scrutée avec une extrême prudence.
Sonatrach, acteur discret mais influent
Sonatrach détient d’ailleurs 4,1 % du capital de Naturgy. Si l’Algérie ne s’est pas encore prononcée sur une éventuelle augmentation de sa participation, cette option reste sur la table. La récente rencontre entre Rachid Hachichi, PDG de Sonatrach, et Francisco Reynés a permis d’explorer de nouvelles pistes de coopération, notamment dans la commercialisation du gaz naturel.
Un retrait stratégique à haute valeur géopolitique
En définitive, l’abandon de l’opération Naturgy par Taqa marque un tournant stratégique révélateur des tensions régionales. Il souligne la fragilité des équilibres diplomatiques en Méditerranée et la vigilance des États, comme l’Algérie, lorsqu’il s’agit d’actifs sensibles dans le secteur de l’énergie. Pour Madrid, c’est aussi un rappel du poids que peuvent encore exercer les alliances gazières historiques.

