Il fallait s’y attendre. Alors que les tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France ne cessent de s’aggraver depuis l’automne 2024, les répercussions se font désormais sentir dans les échanges commerciaux. Et ce n’est que le début d’une reconfiguration géoéconomique que beaucoup à Alger jugeaient inévitable depuis des années.
Une baisse significative mais attendue
En effet, d’après Le Figaro, les chiffres des douanes françaises sont sans équivoque : au premier trimestre 2025, les exportations françaises vers l’Algérie ont chuté de 20 %, passant de 1,25 milliard d’euros à 992 millions. Une baisse importante, mais surtout révélatrice d’un malaise structurel profond entre deux pays aux intérêts de plus en plus divergents.
Il faut dire que cette baisse des exportations ne peut être dissociée de la crise diplomatique provoquée par la reconnaissance unilatérale par Emmanuel Macron de la « marocanité » du Sahara occidental, une décision ressentie à Alger comme une provocation sans précédent. Depuis, la relation politique s’est considérablement dégradée, et le monde économique en subit désormais les conséquences.
Comme le souligne Le Figaro, « aucune entreprise française n’a remporté d’appel d’offres » dans plusieurs secteurs clés ces derniers mois. Le secteur agroalimentaire en est un exemple frappant : pour un marché stratégique de 500.000 tonnes de blé, l’Office algérien des céréales n’a pas retenu de fournisseurs français. Même constat dans les produits laitiers : sur les marchés de poudre de lait attribués récemment, la France brille par son absence, éclipsée par des pays comme l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis.
Une volonté algérienne d’émancipation économique
À ceux qui s’étonnent de cette inflexion, l’Algérie répond par une politique souveraine d’industrialisation et de diversification de ses partenaires. Le président algérien a clairement affiché en avril son objectif d’atteindre l’autosuffisance industrielle d’ici fin 2025. Cette stratégie, saluée dans le monde des affaires du Sud global, s’accompagne d’une fermeté envers les entreprises étrangères jugées peu respectueuses de la souveraineté algérienne.
La non-autorisation du redémarrage de l’usine Renault à Oran illustre cette volonté de reprendre la main sur l’appareil productif national. Malgré les 120 millions d’euros investis par Renault dans le site, le comité technique algérien a émis un avis défavorable, pointant des non-conformités aux exigences locales. Il ne s’agit pas d’un rejet de principe, mais d’un signal fort : les règles du jeu ont changé.
Des ajustements douloureux pour la France
Pour la France, cette perte de terrain en Algérie est d’autant plus douloureuse qu’elle concerne aussi les PME, qui sont environ 6000 à exporter vers le pays. Comme l’admet Michel Bisac, président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), les grandes entreprises sauront s’adapter. Mais les PME risquent, elles, de ne pas survivre à une rupture prolongée.
Certaines tentent déjà de contourner les obstacles en expédiant leurs marchandises depuis d’autres ports européens. Mais cette solution a un coût logistique, que les clients algériens ne sont pas toujours prêts à absorber. Pire encore, l’Algérie pourrait bientôt renforcer ses exigences sur l’origine des produits, y compris celle des pièces détachées et des facturations.
Une perte d’influence manifeste dans les salons professionnels
L’affaiblissement français se constate aussi sur le terrain symbolique : au salon Batimatec de mai 2025 à Alger, l’un des plus grands événements dédiés au bâtiment en Afrique, la présence française se résume à 18 stands, contre des centaines pour la Turquie. « L’Algérie ne ferme pas la porte à la France », assure Jean-Pierre de Bono, président du Club d’affaires Cadefa au Figaro. « Mais force est de constater que les entreprises publiques algériennes ne viennent plus sur nos stands ».
La différence de traitement entre les entreprises turques — soutenues à 50 % par leur État — et les françaises, désormais privées de subventions, reflète aussi le désengagement progressif de Paris en matière de commerce extérieur, à l’opposé d’un pays comme l’Algérie qui multiplie les accords avec la Chine, l’Italie ou encore l’Allemagne, des pays plus respectueux et fiables.
Un divorce qui couvait depuis longtemps
Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une surprise pour les observateurs avertis. Le déséquilibre de la relation franco-algérienne, les relents postcoloniaux persistants dans certains discours politiques français, et l’absence de vision économique partagée ne pouvaient conduire qu’à un tel décrochage. L’Algérie, désormais tournée vers un avenir multipolaire, affirme sa souveraineté sans ambiguïté. Elle choisit ses partenaires, sans nostalgie.
Si certains en France espèrent une accalmie après les élections du 17 et 18 mai (où Bruno Retailleau, partisan d’une ligne dure envers Alger, est donné favori à la présidence des Républicains), d’autres comprennent que le temps du paternalisme économique est révolu.
L’Algérie n’est pas un pays facile, certes. Mais elle attire aujourd’hui pour une raison simple : elle offre une stabilité croissante, un immense potentiel industriel, et un message clair. La France, elle, paie le prix d’un aveuglement stratégique et d’un positionnement politique de plus en plus inaudible au sud de la Méditerranée, mais aussi et surtout des discours haineux et maladroit.